La perception de l’équitation par la société, un enjeu d’avenir

Même si l’équitation est pratiquée depuis des millénaires, son avenir est loin d’être assuré. Certaines activités équestres sont effet de plus en plus remises en cause dans la société, notamment en raison des préoccupations croissantes par rapport au bien-être animal. Pour éviter que cela mène à des interdictions et restrictions comme dans d’autres activités, l’association World Horse Welfare et l’Université de Nottingham se sont penchées sur la question et surtout sur les solutions à y apporter :

Les pétitions pour interdir l’épreuve d’équitation dans le pentathlon moderne, le reportage accusateur envers Ludger Beerbaum à la télévision allemande, le décès d’un cheval sur le cross lors des Jeux olympiques de Tokyo, les plaintes de PETA envers le cavalier de dressage Edward Gal,… Ces dernières années, l’équitation fait parfois la une des médias de manière (très) négative. Même s’il s’agit généralement d’incidents isolés et peu représentatifs de la philosophie du monde équestre, ceux-ci peuvent contribuer à fragiliser l’image et le futur de l’équitation…

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© Pixabay

Ces évènements médiatiques ne sont toutefois pas les seuls à menacer les activités équestres. Depuis quelques années, la pratique de l’équitation en elle-même est aussi remise en question par certaines associations animalistes ou vegan, ou tout simplement par le grand public et les internautes sur les réseaux sociaux. Ce phénomène s’explique notamment par certains changements sociétaux, que plusieurs membres de l’association World Horse Welfare et de l’Université de Nottingham ont détaillé dans un article scientifique consacré à l’acceptation de l’équitation par la société  :

  • La question du bien-être animal a pris de plus en plus d’importance dans la société au cours des dernières décennies. Cela s’illustre par le développement du véganisme et du végétarisme, mais aussi par le fait que certaines utilisations des animaux sont de moins en moins acceptées par le public : par exemple les numéros de cirque, l’enfermement dans les zoos, les combats de chiens,…
  • Les progrès technologiques, et notamment les smartphones, permettent de capturer facilement des photos et vidéos et donc d’accroitre la visibilité des bonnes ou mauvaises pratiques en coulisses. Internet et les réseaux sociaux offrent par ailleurs une large diffusion de ces images, ce qui peut conduire à des changements dans la perception du public – voire dans la politique gouvernementale. Ce fut par exemple le cas avec la chasse aux trophées de félins et autres carnivores sauvages.
  • Les progrès des connaissances scientifiques font qu’aujourd’hui, les animaux sont davantage considérés comme des créatures sensibles « pour qui le bien-être physique, mental et social est important ».

« Ce qui peut commencer avec des articles négatifs dans les médias et une perte de confiance du public peut dégénérer en une perte de soutien politique, une législation révisée et, finalement, une interdiction réglementaire de l’industrie ou de l’activité en cause.»

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Comme le soulignent World Horse Welfare et l’Université de Nottingham, il est important de préserver l’image de l’équitation dans la société car son avenir dépend étroitement de la façon dont elle est perçue par le public. Les activités équestres, comme toutes les autres, sont en effet réglementées par une série de lois écrites mais aussi par une sorte d’accord plus implicite avec la population qu’on peut appeler « acceptation sociale » (« social licence to operate » en anglais). Il est crucial de ne pas négliger l’opinion du public, car lorsque celui-ci s’oppose à une activité les conséquences peuvent être lourdes et concrètes. On peut citer en exemple les courses de lévriers qui ont été bannies dans plusieurs Etats, la perte de rentabilité ou de sponsors dans certaines activités comme les courses hippiques, les lois de plus en plus strictes concernant la chasse, l’interdiction des manèges à poneys dans les foires en Belgique, etc.

Selon World Horse Welfare, les interdictions passées (notamment concernant les courses de lévriers) « illustrent comment les valeurs de la société peuvent façonner la politique gouvernementale : ce qui peut commencer avec des articles négatifs dans les médias et une perte de confiance du public peut dégénérer en une perte de soutien politique, une législation révisée et, finalement, une interdiction réglementaire de l’industrie ou de l’activité en cause. »

Des actions déjà visibles dans le monde équestre

Aucune activité n’est épargnée par la possibilité de ne plus être acceptée socialement, et c’est particulièrement vrai pour l’équitation, même si celle-ci existe depuis des millénaires. « Les échos négatifs dans les médias sont déjà évidents dans diverses branches des sports équestres et une opposition bien financée et bien organisée à l’équitation existe », peut-ont lire dans le rapport de World Horse Welfare et l’Université de Nottingham. Selon une étude réalisée récemment en Grande-Bretagne, 60% de la population au sens large (personnes ayant peu ou pas de liens avec les chevaux) ne soutient pas l’utilisation des chevaux dans le sport ou continuera seulement à le faire si le bien-être des équidés s’améliore.

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Il est donc important d’agir, et de nombreuses initiatives voient d’ailleurs le jour ces dernières années. On peut entre autres citer les compétitions qui privilégient le bien-être des chevaux, certains règlements par rapport aux harnachements des chevaux et au dopage, le développement de filières pour la reconversion des chevaux de courses, l’interdiction de pratiques comme le rasage des vibrisses, etc. Le sujet de l’éthique de l’équitation a aussi été traité au sein de l’Assemblée nationale française, qui a fait élaborer par des experts une série de recommandations pour le bien-être des chevaux lors des prochains Jeux olympiques à Paris, ou encore par le Conseil wallon du bien-être des animaux qui a rédigé un Avis sur le logement des équidés.

Des défis importants à relever pour l’équitation

Bref, de multiples progrès sont réalisés régulièrement en matière de bien-être équin, mais selon World Horse Welfare « il reste des défis importants à relever pour maintenir l’acceptation sociale de l’équitation ». La plupart des grands acteurs du monde équestre sont heureusement conscients de cette situation, mais encore faut-il savoir quelle est la bonne attitude à adopter pour conserver l’opinion favorable du public. Les membres de World Horse Welfare et de l’Université de Nottingham se sont penchés sur la question en analysant des solutions utilisées dans d’autres secteurs, et les possibilités de les appliquer à l’équitation.

Selon eux, pour qu’une activité reste acceptable socialement, il est primordial de ne pas nier les problèmes et critiques mais au contraire de se les approprier rapidement et de réformer le secteur. L’une des priorités est aussi d’obtenir la confiance du public, lequel doit avoir l’assurance que le secteur (équestre dans ce cas-ci) « agira avec intégrité et fera ce qui est juste ». Pour construire et maintenir cette confiance, il est essentiel selon World Horse Welfare et de l’Université de Nottingham de faire preuve de transparence et de partager des valeurs avec le public.

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Le secteur doit aussi se montrer proactif en identifiant les menaces et en adoptant rapidement des réformes lorsque de nouvelles preuves émergent par rapport au bien-fondé ou non de certaines pratiques. Il est également important de communiquer ces avancées auprès des médias, afin de faire connaitre les changements positifs et de promouvoir les bonnes pratiques.

« Une telle approche nécessite des dirigeants ayant le courage d’orienter une industrie dans une direction qui peut ne pas être populaire à court terme, mais qui est susceptible d’être bénéfique à long terme », précisent les chercheurs de World Horse Welfare et de l’Université de Nottingham.

Une Commission au sein de la FEI

Bref, l’équitation est à un tournant majeur de son histoire. C’est pourquoi la Fédération équestre internationale, représentante principale du secteur, a entamé des démarches spécifiques pour maintenir l’acceptation sociale de l’équitation. Elle s’est dotée en juin 2022 d’une « Commission d’éthique et de bien-être équin » composée de 10 personnes (dont certaines externes à la FEI) et destinée à se pencher sur cette question. Le groupe a notamment lancé ces derniers mois une grande enquête auprès des acteurs du monde équestre et du grand public à propos du bien-être des chevaux. La Commission a également élaboré une série de six recommandations qui seront discutées lors de la prochaine Assemblée générale de la FEI en novembre. Il est notamment question de mettre fin à l’obligation de la bride en dressage et du port des éperons dans toutes les disciplines, d’introduire un appareil de mesure pour le serrage de la muserolle, ou encore de mettre en place un fonds spécialement dédié à la collecte de preuves qui étayent certaines mesures en faveur du bien-être des chevaux.

Marie-Eve Rebts

Co-fondatrice de Cheval-in, Marie-Eve est cavalière depuis plus de vingt ans, et journaliste équestre depuis une dizaine d'années. Elle pratique le dressage mais adore le monde équestre dans sa globalité, et s'est même essayée avec joie à de nombreuses disciplines comme l'équitation américaine, le TREC ou le horse-ball !