Jean-Paul Musette : « J’ai toujours voulu apprendre et me perfectionner » (partie 1)
Cavalier international, écuyer professeur ADEPS-FRBSE depuis 1974, chef des équipes belges de jumping, Jean-Paul Musette est une figure incontournable du saut d’obstacles, discipline dont il observe et accompagne l’évolution depuis plusieurs décennies. Selon lui, l’équitation de jumping a beaucoup progressé et doit suivre la voie montrée par plusieurs cavaliers de la discipline : celle d’une approche qui privilégie le partenariat plutôt que l’utilisation du cheval. Le septuagénaire nous a accordé un long entretien et dans cette première partie, il revient sur son parcours équestre, ainsi que les rencontres et courants qui l’ont marqué.
Pour commencer, pouvez-vous nous raconter comment vous êtes arrivé dans le milieu équestre ? Cette passion vient de votre famille, n’est-ce pas ?
Oui, notre famille a toujours été dans les chevaux et mes enfants représentent la cinquième génération ! Cela a commencé avec mon arrière-grand-père, qui avait un établissement à la rue de Spa à Bruxelles, près du Palais Royal. A l’époque, il louait des attelages et transportait les gens. Mon grand-père s’est orienté davantage vers le commerce et vendait à l’armée des chevaux qu’il importait principalement d’Irlande et d’Allemagne. L’affaire s’est développée à tel point qu’à ce moment-là, la famille possédait trois écuries à Schaerbeek. Mon grand-père était assez visionnaire et, voulant se rapprocher de la Forêt de Soignes, il s’est installé en 1930 à Uccle où il a construit un manège à la drève du Caporal.
Mon père a quant à lui suivi l’évolution du monde équestre et s’est orienté vers les activités de manège et l’enseignement, car à l’époque le sport n’était pas du tout développé et il était surtout pratiqué par les militaires. Toutefois mon oncle Mathieu participait à des concours hippiques et à cette période notre famille a vendu à la famille royale belge un cheval baptisé « Godailleur » qui était destiné à la princesse Joséphine-Charlotte.
Et vous, quand avez-vous commencé à monter ?
Mon père m’avait mis à cheval à 7 ans mais j’ai attrapé la trouille et je ne voulais plus monter. J’ai recommencé à monter et repris confiance vers mes 9 ans en jouant aux cow-boys et indiens dans une ancienne piste de concours de 4 hectares mise à notre disposition : la piste du Bright Corner qui était fabuleuse, aménagée avec quantité d’obstacles naturels.
A 14 ans, j’étais champion de Belgique juniors, puis j’ai participé à deux championnats d’Europe juniors. A 16 ans, j’ai commencé à monter en concours internationaux avec les seniors, ce qui était assez rare à cette époque. En 1961 j’étais le meilleur cavalier belge au Jumping de Bruxelles. Mon seul regret est qu’en tant que « professionnel », je n’avais pas accès au championnat de Belgique.
J’avais la chance à ce moment-là de disposer de deux très bons chevaux. Le meilleur fut « Pontus Hill » cheval français que le Comte Hadelin de Méeus d’Argenteuil (Ambassadeur de Belgique) avait dressé jusqu’au passage, piaffer, changements de pied au temps. A 7 ans il n’avait jamais sauté mais grâce à son éducation, ce fut une formalité de le lui apprendre. Il a été le meilleur cheval de ma carrière et le plus facile. Avec lui j’ai remporté un Trophée Européen à Reims (1962).
Je disposais également d’une jument d’origine Connemara baptisée « Orange Nightmare », qui portait très bien son nom car nightmare signifie cauchemar en anglais ! Elle était très violente et voulait absolument sauter mais il ne fallait pas la contrarier ni l’aider devant l’obstacle. Plus j’allais en avant, mieux elle sautait mais c’était assez spectaculaire, c’était un peu l’attraction du concours. J’ai fait Aix-la-Chapelle avec elle, et c’est aussi avec elle que j’ai sauté à 17 ans mes premiers 2 mètres dans le manège de l’Etrier. Peu après le Jumping de Bruxelles 1962, on l’a hélas retrouvée morte dans son box et mon autre cheval a été mis hors circuit à cause d’une boiterie. Etant à pied, mon père a mis de côté le sport et j’ai commencé l’enseignement dans le manège familial.
Quand est née votre « Ecole d’équitation Musette » ici, à Hoeilaart ?
Mes parents ont acheté et construit ici dans les années 1970, car on était très à l’étroit à Uccle et on ne savait pas s’étendre. Mon frère Luc (ndlr : Luc Musette, chef de piste international) a continué assez longtemps dans notre installation d’Uccle, jusqu’à ce qu’on vende cette infrastructure. Luc est malheureusement décédé en 2018 et il a donné sa part de l’écurie à Hoeilaart à ma fille Ariane. Maintenant c’est elle qui s’occupe de l’école et elle fait cela très bien. L’avenir est assuré et c’est vraiment un réconfort !
Avez-vous quand même gardé quelques élèves ?
Oui, et je donne régulièrement des stages en Belgique et à l’étranger. Je reste actif et je suis très motivé lorsque j’entrevois des progressions. Je suis aussi très intéressé par les enseignements que d’autres disciplines peuvent nous apporter : reining, éthologie, équitation classique française et allemande. C’est important pour moi de comprendre le cheval, sa morphologie, son mental afin de ne rien détruire, et au contraire d’essayer d’améliorer ses qualités. J’aime également échanger des idées tout en sachant que la simplicité et la modestie sont des facteurs de résultats. Je rencontre régulièrement Evelyne Blaton qui est toujours très motivée et qui se remet souvent en question : c’est un exemple à suivre ! Je ne souhaite pas citer les noms de mes élèves actuels, mais ceux que j’ai le plaisir de faire travailler se reconnaîtront.
Par le passé, j’ai entre autres entraîné Philippe Le Jeune avant un championnat d’Europe juniors dans les années 1970, ou encore Candice Lauwers qui fut championne d’Europe dans la même catégorie en 1998. J’ai coaché depuis ses 14 ans le cavalier azerbaïdjanais Jamal Ramihov jusqu’aux Jeux olympiques de Pékin et ensuite de Londres. J’ai également eu comme élèves François Brichart, Sandra Buytaert, Amandine Wittouck ou encore Anatole Boute qui ont participé avec succès aux championnats d’Europe young riders, juniors et poneys.
A part votre famille, qui vous a influencé dans vos apprentissages en tant que cavalier et instructeur ?
Mon père m’a inculqué les bases d’un « homme de cheval » et je lui en suis reconnaissant. Dans ma jeunesse, même si j’ai participé à des concours importants, je manquais de savoir et je ne connaissais qu’une chose : le mouvement en avant. Cependant, j’ai toujours voulu apprendre et me perfectionner. J’ai eu la chance de rencontrer les bonnes personnes et j’ai effectué mon premier séjour de quelques mois chez Oliveira à la fin des années 1960. Sa conception de l’équilibre et de la légèreté m’ont toujours aidé. Ensuite, je me suis rendu chez Georges Calmont, homme de cheval très complet qui gymnastiquait très bien ses chevaux. Nous avons aussi accueilli régulièrement dans nos écuries différents entraîneurs comme Georges Morris qui était très rigoureux, ou encore Jean d’Orgeix qui m’a fait comprendre comment un cheval sautait.
Finalement, grâce à mon épouse Caroline, nous avons eu l’opportunité de convaincre Bertalan de Némethy de venir chez nous entraîner nos meilleurs cavaliers à la fin des années 1980. Ce fut une révélation ! Sa méthode se définit comme l’application à l’obstacle des principes de dressage classiques de l’équitation allemande. Cette dernière n’est pas l’école de force qu’on a souvent observée par le passé mais plutôt celle de Steinbrecht, l’auteur du « gymnase du cheval » et la référence de l’Ecole Espagnole de Vienne et des cavaliers classiques allemands. Il est considéré comme le père de l’équitation de jumping moderne qui, contrairement à ce qu’on imagine, existait déjà dans les années 1960. Il fut l’entraîneur des cavaliers Américains pendant 25 ans avec beaucoup de succès et de médailles olympiques à la clé.
Ses stages chez nous furent très appréciés et je pense que Bertalan de Némethy a aidé beaucoup de nos cavaliers à concevoir les choses méthodiquement et sans « trucs ». J’ai pu remarquer chez de Nemethy et Oliveira beaucoup de similitudes. Cela ne me surprend pas car tous deux possédaient une très vaste culture équestre.
« LES CHEVAUX SONT TELLEMENT DOUÉS QUE LES CAVALIERS SE FIENT DAVANTAGE AUX QUALITÉS INNÉES ET FONT MOINS D’EFFORT POUR AMÉLIORER L’ÉQUILIBRE, LA SENSIBILITÉ ET L’ATTENTION DE LEURS MONTURES. »
En plus de coacher différents cavaliers, vous avez aussi été entraîneur de l’équipe belge de jumping. Quels souvenirs en gardez-vous ?
On m’a en effet sollicité en 1989 pour prendre en charge l’équipe belge et pendant trois ans, j’ai coaché toutes les équipes : seniors, young riders, juniors, poneys et scolaires. En poneys nous avons eu quelques succès en individuels, en young riders une belle deuxième place par équipe au championnat d’Europe 1995 à Babenhausen.
En seniors, nous avions toujours deux bases dans l’équipe mais il nous manquait les troisièmes et quatrièmes cavaliers et chevaux pour briller. Malgré cela, nous nous sommes qualifiés pour les championnats du monde, les Jeux olympiques d’Atlanta et de Barcelone, etc, et nous avons été deuxièmes dans la Coupe des Nations à Aix-la-Chapelle.
Bref, nous avions de bons résultats mais c’était toujours un peu à la traîne comparé aux performances belges d’aujourd’hui. Nous étions aussi limités par les chevaux. Ces derniers ont tellement évolué ces dernières décennies ! L’élevage a énormément progressé dans la qualité. Mon frère (ndlr : Luc Musette) chef de piste international me disait souvent que s’il ne déterminait pas un temps accordé précis dans ses parcours, il obtenait plus de la moitié de sans-faute dans l’épreuve. Pour se rendre compte de cette évolution, il suffit de comparer les résultats. Lorsque je montais dans les années 60-70, dans un concours important national et même international, il y avait maximum un quart de sans-faute, le ventre mou était entre 8 et 12 points et ensuite c’étaient des scores lourds. Et n’oublions pas que le matériel d’obstacle était lourd et massif ! Aujourd’hui les proportions ont changé : il y a une majorité de 0 et 4 points et un cinquième de scores lourds. C’est surtout grâce à la qualité des chevaux, pas forcément des cavaliers…
Les chevaux se sont donc améliorés, mais pas les cavaliers ?
Bien sûr, il y a des gens qui essaient de bien monter mais en faisant un peu de commerce aujourd’hui, je constate qu’il est facile de trouver de bons chevaux encore jeunes et mal éduqués. L’erreur réside principalement dans le fait que l’on veut obtenir de l’obéissance, ce qui est normal, mais on confond obéissance et contrôle, or c’est très différent ! Ce qui se passe aujourd’hui, c’est que les chevaux sont tellement doués que les cavaliers se fient davantage aux qualités innées et font moins d’effort pour améliorer l’équilibre, la sensibilité et l’attention de leurs montures. La base du travail est pourtant simple : pour bien porter son cavalier, le cheval doit s’articuler.
Anciennement, la technique de base des cavaliers était souvent de pousser, tirer et piquer. Avec ça, on obtenait peut-être un engagement, mais seulement pour 2 ou 3 foulées et on n’apprenait pas au cheval à rester engagé et à remettre son poids sur les postérieurs. Pour arriver à un résultat correct, la technique est simple : il faut faire du travail de 2 pistes en recherchant un engagement bref, immédiat. Il faut comprendre comment l’animal fonctionne et porte son cavalier, et ne pas se focaliser sur des détails inutiles comme par exemple des attitudes figées. Ce que l’on ignore, c’est que travailler un cheval peut être amusant rien qu’en l’observant dans ses réactions. Le cheval s’exprime par exemple avec ses oreilles : elles se pointent lorsqu’il est attentif. Blasé, il regarde sur les côtés et ses oreilles pendent. Or si le cheval est blasé il n’est pas heureux et perd son moral… L’obsession des cavaliers doit être en priorité de rechercher le bien-être du cheval, qui se caractérise par une absence de force et de résistance.
En cliquant ici, vous retrouverez la deuxième partie de cette interview dans laquelle Jean-Paul Musette évoque sa vision de l’évolution des sports équestres, les cavaliers qu’il admire, etc.