Jean-Paul Musette : « L’équitation de saut d’obstacles a plus évolué que le dressage » (partie 2)

Cavalier international, écuyer professeur ADEPS-FRBSE depuis 1974, chef des équipes belges de jumping, Jean-Paul Musette est une figure incontournable du saut d’obstacles, une discipline dont il observe et accompagne l’évolution depuis plusieurs décennies. Selon lui, l’équitation de saut d’obstacles a beaucoup progressé et doit suivre la voie montrée par plusieurs cavaliers de la discipline : celle d’une approche qui privilégie le partenariat plutôt que l’utilisation du cheval. Après avoir évoqué son parcours équestre dans la première partie de notre interview, Jean-Paul Musette parle à présent des cavaliers qu’il admire, de ses impressions par rapport au jumping et au dressage moderne, ou encore de la relation au cheval.

Jean-Paul Musette
Jean-Paul Musette (© Christophe Bortels)

Quels sont les cavaliers que vous admirez les plus aujourd’hui ?

Heureusement il y en a beaucoup. Dans le passé, les chevaux et parcours n’étaient pas les mêmes qu’aujourd’hui, et à cause de cela les styles étaient différents. Mais déjà dans les années 1960 certains cavaliers pratiquaient l’équitation moderne. C’était le cas de Nelson Pessoa et des cavaliers américains qui, en plus du dressage parfait de leurs chevaux, avaient une position parfaite. 

Dans ma conception de l’équitation, j’admirais ou admire beaucoup Marcus Ehning, John Withaker, Henk Nooren, Franke Sloothaak, Daniel Deusser, Ludger Beerbaum, Albert Voorn ou encore Ian Millar que j’ai bien connu et qui a participé à 10 Jeux olympiques. Aujourd’hui j’aime beaucoup Kevin Staut qui est méthodique, intelligent. Son équitation est classique et bien dans l’esprit du jumping moderne. Je suis impressionné par la qualité de ses tournants presque toujours parfaits, il s’en sert pour rééquilibrer et remettre son cheval en place. Il semble n’être presque jamais en difficulté. 

Jean-Paul Musette estime que chez Grégory Wathelet « on sent une recherche permanente de la qualité ». (© Christophe Bortels)

Au niveau belge, selon moi Grégory Wathelet et Niels Bruynseels sortent du lot. Chez Grégory, on sent une recherche permanente de la qualité. Je l’ai toujours vu bien monter et il ne cesse de s’améliorer. Quant à Niels, c’est un cavalier qui possède beaucoup de finesse, il est très méritant. Pour évoquer l’avenir, beaucoup de jeunes commencent à pointer le bout du nez : rappelons-nous les brillantes victoires des équipes belges scolaires, juniors et young riders au dernier Championnat d’Europe de Vilamoura.

« NOUS DEVONS OUBLIER LA DOMINATION ET L’UTILISATION ABUSIVE QUI NE MÈNENT À RIEN SI CE N’EST À LA SOUFFRANCE DU CHEVAL ET AUX FRAIS VÉTÉRINAIRES »

Vous connaissez les sports équestres depuis plusieurs décennies. Comment ont-ils évolué selon vous ?

J’observe avec beaucoup de satisfaction que le rapport avec le cheval est en train d’évoluer. Comme le disait Monty Roberts, depuis des siècles le cheval a toujours dû faire ce qu’on lui demandait, sinon il était puni. C’est cela qu’il faut cesser ! Depuis quelques années, il y a une conception différente, amenée notamment par l’éthologie, et qui fait qu’on recherche davantage le bien-être des animaux. Les gens se rendent compte aujourd’hui que le cheval est généreux et qu’il a envie de communiquer. Quand on travaille avec un cheval, on doit partager. Le plaisir qu’on ressent, ce doit être aussi le plaisir du cheval. Dans toutes les disciplines, il faut voir l’animal comme un partenaire et non plus comme un outil. Rappelez-vous toujours ce principe : ce que le cheval fait de lui-même, il le fait toujours bien. Le cheval n’est pas un animal stupide, il a de la sensibilité et souhaite communiquer. Développez cela et vous verrez des progrès dans son travail et sa physionomie changera : regardez ses yeux !

Nous devons oublier la domination et l’utilisation abusive qui ne mènent à rien si ce n’est à la souffrance du cheval et aux frais vétérinaires. Dans cet esprit, je fais travailler mes cavaliers presque plus sur le plat qu’à l’obstacle car les chevaux sont des sauteurs de plus en plus talentueux et c’est entre les obstacles que les problèmes apparaissent.

Observez-vous aujourd’hui des exemples concrets de cette approche plus respectueuse du cheval ?

On en a eu une leçon extraordinaire aux derniers Jeux olympiques avec les cavaliers d’obstacles suédois, qui ont fait une véritable démonstration de ce que doit être l’équitation moderne. Ils rendent les chevaux autonomes, leurs montures ne sont jamais en difficulté mais elles participent énormément. Pour moi, ces chevaux suédois se sont amusés à Tokyo.

L’équipe suédoise de jumping médaillée d’or à Tokyo (© FEI)

Ce n’est plus l’utilisation du cheval, c’est un partenariat dans lequel chacun contribue. C’est l’idée de ce qu’on appelle le jumping moderne : la force ne sert à rien, les artifices non plus. Souvent, plus on demande au cheval, plus on lui fait peur. Au haut niveau du jumping, un des talents que le cavalier doit avoir est celui de cacher l’effort car le cheval ne sait pas mesurer la hauteur d’un obstacle, il réagit simplement en fonction de l’effort qu’il doit fournir. Si on sollicite fort les chevaux devant la barre, au début ils sauteront car ils sont généreux mais à la fin ils auront l’impression de se retrouver devant une montagne. Alors que quand ils sont équilibrés, droits et rebondissent c’est facile de sauter. Quand c’est bien fait, il y a beaucoup de finesse dans le saut d’obstacles. Et je pense d’ailleurs que l’équitation de saut d’obstacles a plus évolué que le dressage ces dernières années.

Justement, que pensez-vous de cette discipline ?

Je n’ai rien contre le « dressage » mais ce qui me choque, c’est qu’il y a actuellement trop de différences entre l’équitation classique et ce qu’on appelle le dressage de compétition. Il y a aujourd’hui une dérive nuisible dans cette discipline car le naturel est absent. Le scandale du « rollkür » en est la preuve ! C’est un peu le revers de la qualité de l’élevage, car je n’imagine pas que les chevaux du passé avaient tous la force et la conformation d’aujourd’hui pour supporter ce système. Le « rollkür » doit absolument être banni car il est contraire au bien-être des chevaux.

Malgré l’évolution de la qualité des chevaux, je remarque qu’aujourd’hui peu d’entre eux effectuent un piaffé correct. La moitié des cavaliers piaffent plus que leurs chevaux qui souvent avancent ou montent leur croupe alors que pour piaffer, le cheval doit simplement baisser ses hanches, se mettre en place et le cavalier doit cesser d’agir.

Jean-Paul Musette cite Jessica von Bredown-Werndl en exemple mais estime que la majorité des autres cavaliers de dressage vus aux Jeux olympiques sont des utilisateurs (©FEI)

Une autre lacune est le succès des selles « orthopédiques » qui n’apprennent plus aux cavaliers à s’asseoir, or l’assiette est la priorité pour acquérir le tact, pouvoir communiquer avec le cheval et lui procurer du confort. Ce qui me choque également, c’est que l’on voit souvent les dresseurs se rendre aux remises de prix avec leurs chevaux tenus en main par les grooms. Est-ce pour la sécurité ? Où est le dressage ? Il existe heureusement quelques sujets de satisfaction comme la médaille d’or aux Jeux olympiques de Tokyo de Jessica von Bredow-Werndl. Malheureusement, selon moi la majorité des autres cavaliers sont des utilisateurs.

« MÊME AVEC DES CAVALIERS DÉBUTANTS, IL FAUT FAIRE DÉCOUVRIR LA SENSIBILITÉ DU CHEVAL. »

Le « partenariat » cavalier-cheval dont vous parlez est selon vous la voie à suivre pour l’équitation et ce qui peut faire la différence en compétition ?

Oui, c’est de plus en plus la qualité de l’équitation qui importe, avec cette idée de faire participer le cheval. Ian Millar (ndlr : Canadien ayant participé à 10 Jeux olympiques) me disait que quand il exécutait un parcours, il posait toujours une petite question à son cheval pour qu’il soit attentif et à l’écoute – c’est capital.

L’utilisation du cheval doit être proscrite. L’équitation est menacée par des pressions externes comme les mouvements animalistes et cette évolution du sport axée sur le partenariat permet d’éliminer cette mauvaise image selon laquelle l’équitation serait un abus des animaux. Contrairement à ce qu’on croit, le cheval aime travailler. Quand on part au concours, je vois qu’on a toujours des chevaux qui ne sont pas contents de rester à la maison. Ce n’est pas en les dorlotant ou en les oubliant dans les prairies qu’on les traite bien. Le moral du cheval est très important et il aime participer au travail à condition que ce soit varié.

Jean-Paul Musette
© Christophe Bortels

Quelles sont les principales améliorations et évolutions qui peuvent encore être apportées aux sports équestres, à part cette approche du cheval que nous avons déjà évoquée ?

Actuellement, je pense que le sport s’améliore et que nous pouvons encore progresser en améliorant l’enseignement de base et surtout ce que les anglais appellent « horsemanship ». J’estime que ce détail contribue aux plus brillants résultats. Le meilleur exemple est la progression très rapide de l’Angleterre dans le dressage. Il y vingt ans, je n’aurais pas imaginé leur réussite d’aujourd’hui.

Finalement, je me dois également de parler de l’enseignement. Aujourd’hui, dans les programmes de monitorat protégés par l’Adeps, on enseigne toujours des principes appliqués aux militaires qui devaient partir à la guerre. Cela ressemble à un mode d’emploi du cheval qui ne mène à rien. Même avec des cavaliers débutants, il faut faire découvrir la sensibilité du cheval et connaitre les principes de l’Equitation française qui appliquent les descentes de main et de jambes. Andy Booth, que j’admire sans le connaître, utilise ces mêmes principes dans l’éducation : le cheval comprend mieux la cession de l’aide plutôt que l’insistance. Cela m’aurait été très utile de savoir ça dans ma jeunesse !

Pour retrouver la première partie de cet entretien avec Jean-Paul Musette, cliquez ici.

Marie-Eve Rebts

Co-fondatrice de Cheval-in, Marie-Eve est cavalière depuis plus de vingt ans, et journaliste équestre depuis une dizaine d'années. Elle pratique le dressage mais adore le monde équestre dans sa globalité, et s'est même essayée avec joie à de nombreuses disciplines comme l'équitation américaine, le TREC ou le horse-ball !