Jessica Michel et Gilles Botton, un duo à la ville comme à la piste
L’une est plus de trente fois championne de France en dressage et médaillée aux championnats du monde Jeunes Chevaux. L’autre est un préparateur hors pair de jeunes chevaux de saut d’obstacles. La Française Jessica Michel-Botton et le Belge Gilles Botton partagent au quotidien la même passion des chevaux et du sport. Tous deux employés du célèbre Haras de Hus (à 30 min de Nantes), Jessica et Gilles profitent des mêmes installations mais ont su individualiser leurs activités afin de pérenniser leurs relations professionnelles mais aussi personnelles.
Gilles, Jessica, quand et comment vos aventures respectives au Haras de Hus ont-elle commencé ?
Gilles Botton : Je suis arrivé en 2010 par l’intermédiaire de Guillaume Ansquer, de l’élevage de Kreisker. Il m’avait contacté pour le compte de Monsieur Marie (Ndlr : propriétaire du Haras de Hus). Après plusieurs tentatives de me faire venir en 2009, je m’y suis finalement déplacé en décembre de cette même année pour commencer à y travailler le 4 janvier. Je succédais alors à Benjamin Robert. A cette époque, j’étais à mon compte après avoir travaillé deux ans chez Philippe Le Jeune et j’évoluais jusqu’au niveau 3 et 4* en compétition. A mon arrivée au Hus, il y avait beaucoup de turn-over. Je pensais y rester trois ans mais c’est désormais ma onzième année ici (rires).
Jessica Michel-Botton : J’ai rencontré Monsieur Marie fin 2005 avant de commencer à être salariée pour lui en juin 2006. Je suis donc dans ma seizième année au Haras de Hus ! J’étais installée à mon compte dans le Sud de la France lorsqu’il m’a contactée pour intégrer son haras. J’ai d’abord récupéré certains de ses chevaux chez moi avant de m’installer au Hus au mois de juin. Les installations telles qu’elles le sont aujourd’hui n’étaient pas encore construites et, à l’approche de l’hiver, les chevaux étant stationnés dans des boxes démontables, je suis retournée six mois dans le Sud en attendant l’avancement des travaux et le retour des meilleurs jours.
Quelles sont vos responsabilités et vos activités au sein du Haras ?
G.B. : Je suis salarié, mais depuis maintenant un an et demi nous accueillons aussi des chevaux extérieurs afin d’équilibrer le fonctionnement de l’écurie CSO. Dans mon contrat de base, je devais former les jeunes chevaux jusqu’à 7 ou 8 ans pour Kevin Staut (Ndlr : alors encore cavalier pour le Haras) qui était installé aux Ecuries d’Ecaussinnes. Je ne devais donc pas m’occuper du commerce, dont Kevin était en charge, tout comme du haut niveau. Rapidement, les choses ont changé.
Depuis 2012, je suis également en charge de la commercialisation des chevaux, alors qu’en parallèle il fallait aussi avoir des résultats en concours et gagner les finales Jeunes Chevaux, tout en faisant beaucoup saillir les étalons … Aujourd’hui, l’activité principale est de rentabiliser l’écurie, il faut vendre des chevaux et si l’un d’eux peut aller plus haut, alors on peut espérer le garder et le confier à un autre cavalier pour le sport. Mais l’objectif principal, comme toujours dans les chevaux, est de rentabiliser.
J.M-B. : A la base, mon travail était de valoriser le Haras de Hus en compétition mais surtout de commercialiser les chevaux, tout en ayant un très gros objectif sportif défini par Mr Marie, celui de participer aux Jeux olympiques de Londres, en 2012.
G.B. : Ce qui était improbable car pour cela elle avait à disposition une jument de 5 ans, achetée en 2006, et que Jessica n’avait alors jamais montée en Grand Prix !
J.M-B. : Cette participation aux Jeux ne pouvait en effet être qu’avec Riwera de Hus ! (Ndlr : le couple est parvenu à décrocher sa place pour Londres et à se qualifier pour le Grand Prix Spécial). Depuis maintenant quatre ans, je ne suis salariée du Haras que pour cinq puis quatre chevaux. Je continue toutefois à gérer toute la partie dressage dans sa globalité : les croisements pour les poulinières, le choix des étalons, la sélection des foals, des 2 ans, le choix des chevaux qui intègrent le piquet sport et ceux qui sont à vendre, en plus de quelques tâches administratives notamment en comptabilité. Désormais, je peux aussi avoir les chevaux d’autres clients au travail.
Si Jessica a évolué au plus haut niveau international sous les couleurs du Haras de Hus, pour vous Gilles, le sport n’a jamais été votre priorité ?
G.B. : En effet, mais j’ai tourné dans le sport et cela ne m’a pas dérangé. Il est vrai que mis à part en poneys, je n’ai jamais vraiment été un gagneur. Je préfère prendre le temps plutôt que de gagner n’importe comment. De plus, lorsque l’on monte des étalons – ce qui était beaucoup le cas lorsque je suis arrivé en 2010 – il faut parfois davantage privilégier un parcours sans-faute avec un cheval qui saute très bien plutôt qu’un parcours gagnant plus brouillon, car cela rapportera plus de saillies.
Ce qui est valorisant pour moi, c’est d’entendre d’autres cavaliers qui essayent les chevaux dire qu’ils sont bien dressés, qu’ils sont à l’écoute. Mon but est qu’ils puissent les monter en filet simple. J’ai plus de plaisir à monter un très bon 4 ans qu’à monter un cheval de Grand Prix sur lequel il faut tout faire pour essayer d’être sans-faute. Je me suis alors rapproché de personnes en qui j’avais confiance. Et avec lesquelles j’avais déjà travaillé comme Philippe Le Jeune à l’époque ou Grégory Wathelet maintenant. Il est certain qu’étant belge, c’était plus facile pour moi.
Comment gérez-vous le fait de travailler ensemble au quotidien ?
G.B. : Lorsque je suis arrivé au Haras, il y avait un gros a priori du côté de Mr Marie et de Jessica, de par leurs expériences passées, sur le fait que les cavaliers d’obstacles ne pouvaient pas travailler avec les cavaliers de dressage. De mon côté, j’ai toujours dit que je n’étais pas du tout fermé à l’idée de travailler en dressage. Aujourd’hui, cela fait dix ans que nous sommes en couple. Mais travailler ensemble n’est pas très compliqué puisqu’il ne s’agit déjà pas de la même discipline. De plus, les installations sont faites de telle sorte que tout est vraiment séparé. Chacun a son écurie d’un côté de la carrière et nous nous retrouvons parfois dans le manège. En revanche, si nous partageons la même vision du travail des chevaux, nous n’avons pas du tout la même organisation et la même façon de fonctionner dans nos écuries respectives.
J.M-B. : La différence, c’est que moi je gère et pas toi (rires). A vrai dire, je n’ai même pas l’impression de travailler au même endroit que lui, même s’il est évident que l’on se croise dans le manège de temps en temps et que l’on échange sur certains points. La configuration est telle que ce n’est pas du tout comme si on gérait ensemble la même écurie. C’est quand même très différent. On partage des installations mais principalement les aires de travail pour les chevaux.
Si vous avez tous les deux développé des activités personnelles en plus de celles au Haras de Hus, Gilles achète aussi des chevaux de dressage. Comment cela se passe-t-il ?
G.B. : J’ai le droit à deux boxes dans les écuries pour des chevaux à moi. Les autres chevaux que j’ai seul ou en copropriétés sont chez d’autres cavaliers, chez des préparateurs. Je fais aussi un peu d’élevage avec Grégory Wathelet et les chevaux sont chez lui… Mon objectif reste de faire du commerce mais je fais aussi de plus en plus saillir. On achète également quelques embryons, on développe donc une petite partie élevage pour plus tard. En ce qui concerne les chevaux de dressage, on fait ça en équipe avec Jessica mais c’est elle qui décide de tout. C’est pour elle. Le but est de trouver des chevaux pour Jessica que l’on peut garder mais aussi de faire du commerce. On choisit ensemble mais c’est elle qui s’y connait, c’est son domaine. Je peux néanmoins m’emballer ! J’en achète même au Haras parfois, sans son aval… (rires)
En 2020, la presse équestre annonçait la mise en vente du Haras de Hus, comment vivez-vous cette situation ?
J.M-B. : Je suis plutôt dans l’organisation et l’anticipation alors que Gilles est plutôt dans l’attente (rires). Nous savons depuis longtemps que le Haras est en vente. D’ailleurs, étant la plus ancienne salariée, il m’est arrivé de le faire visiter. Même s’il n’y a jamais eu d’offre au final, je sais que cela peut arriver un jour. C’est pour cela qu’il y a cinq ans, lorsque nous étions encore tous les deux salariés à 100%, il était temps de demander un emprunt. Pour acheter une maison ou une écurie, que nous aurions louée en attendant.
Gilles ne se projetait pas du tout. Il ne voyait pas l’intérêt d’acheter une écurie et il ne se voit d’ailleurs pas du tout en gérer une avec moi (rires). Comme il dit, nous n’avons pas du tout la même gestion ! Avec l’arrivée de notre fils, Tom, le choix de la maison était alors plus logique. Avec la communication qui s’est intensifiée autour de cette mise en vente, je pense que Gilles a plus intégré que cela pourrait arriver, donc de temps en temps il regarde des annonces (rires).
G.B. : Si mon business personnel ne s’est jamais arrêté, j’essaye de le développer. J’investis plus, au cas où tout cela s’arrête avec le Haras. Pas forcément à cause de sa mise en vente mais tout simplement parce que tout peut aussi s’arrêter du jour au lendemain. Je me dis que si quelque chose doit arriver, c’est que cela devait arriver. Lorsque la presse équestre a parlé de cette vente, nous avons tous les deux été contactés par énormément de gens. Ils avaient le cœur sur la main et nous proposaient des solutions comme si nous étions déjà dehors ! Cela rassure et cela fait plaisir.
Comme Jessica l’a dit, je ne me vois pas monter une écurie avec elle mais pour elle, ça oui ! Je ne serais pas contre l’idée d’arrêter de monter et de me consacrer au commerce et à l’élevage. D’ailleurs, l’arrivée de Chacco-White a fait ressurgir mes racines familiales d’étalonnier qui remontent à mon arrière-grand-père, mon grand-père, mon père et mon oncle. C’était déjà un miracle de tomber sur un cheval de cette qualité pour le sport. L’étalonnage n’était pas du tout prévu initialement. Mais le cheval a une telle aura. Je suis persuadé qu’il est hors-norme !
Tout ce qu’il fait se transforme en positif. Il a déjà fait une très belle saison de monte en 2020 et cette année commence très bien aussi. Il a donc réveillé une passion en moi et cela me motive. Willy Van Impe avec Kashmir van Schuttershof et Luc Tillman avec Toulon ont eu beaucoup de chance d’avoir des chevaux qui les ont fait démarrer. Je ne sais pas si Chacco a la trempe de ces chevaux-là mais l’avenir nous le dira. Pour le moment, c’est une chance pour nous et pour moi. Une chance aussi pour les éleveurs de l’avoir à disposition. Et il confirme qu’il produit en améliorant. Il a une production plus qu’homogène et ce n’est que du bonheur.
Pour ce qui est de l’avenir, ma raison me ferait dire de rentrer en Belgique et Jessica n’y est d’ailleurs pas opposée. Cela nous rapprocherait des Pays-Bas et de l’Allemagne, ce qui est plus pratique pour le commerce. Toutefois, en France, les terres coûtent moins cher qu’ailleurs. On penserait alors plutôt à la Normandie, Compiègne, tout ce qui est au nord de Paris. Ce qui me permettrait aussi d’être à 2h30 de la Belgique et non pas à 7h. Quoi qu’il arrive, l’idée sera de se rapprocher du Nord.