« Besoin d’élever ? » : pourquoi il faut réfléchir avant de faire naître un poulain
Faire naître un poulain est un plaisir voire un rêve pour beaucoup de propriétaires, mais c’est loin d’être toujours un acte anodin. A l’heure où les chevaux abandonnés sont de plus en plus nombreux, l’association de protection britannique World Horse Welfare invite en effet chacun – notamment les particuliers – à se questionner sur ses choix d’élevage. La problématique est détaillée et argumentée dans une brochure intitulée « Need to breed ? », soit « Besoin d’élever ? ». Voici un résumé de son contenu :
Chaque propriétaire le sait : posséder et entretenir un cheval est particulièrement coûteux. Hélas, les frais ont fortement augmenté dernièrement sous le coup de l’inflation et de la crise énergétique, et cela a des conséquences sur le bien-être d’un certain nombre d’équidés. Au Royaume-Uni, l’association de protection World Horse Welfare constate en effet que de plus en plus de chevaux sont abandonnés ou négligés parce que leurs propriétaires font face à des difficultés financières. Selon eux, le constat est sans appel : il y a désormais plus de chevaux que de « bonnes maisons ». Cette situation n’est hélas pas propre au Royaume-Uni ; en France ou en Belgique, plusieurs saisies (importantes) d’équidés ont fait la Une ces derniers mois et la plupart des refuges sont remplis.
C’est en réaction à cette problématique que l’association World Horse Welfare a publié récemment une brochure « Need to Breed ? » (« Besoin d’élever ? ») dans laquelle elle plaide pour un élevage plus raisonné et permettant de limiter le nombre de chevaux au Royaume-Uni. Ce souhait peut sembler étonnant de la part d’amoureux de chevaux, mais comme le fait remarquer l’association, « chaque naissance équine augmente les chances de négligence : soit directement envers ce cheval à un certain stade de sa vie, soit indirectement en plongeant un autre cheval dans une situation horrible. » World Horse Welfare souligne aussi que les chevaux sont soumis à la loi de l’offre et de la demande : plus il y en a, moins ils se vendent cher. Cela peut pousser certaines personnes peu scrupuleuses à profiter de cette situation et, en raison de l’augmentation des coûts d’entretien, il arrive souvent que les éleveurs vendent leurs poulains à perte. Enfin, plus les chevaux sont nombreux sur le marché, plus il est difficile de trouver à chacun une maison sûre et aimante.
« Élever un poulain par an, ou juste un seul dans sa vie, peut sembler avoir peu d’impact. Ce n’est pas le cas. Si des milliers de personnes font toutes la même chose, ces poulains ajoutent un nombre énorme de chevaux supplémentaires »
Bref, World Horse Welfare estime qu’il y a de multiples bonnes raisons de limiter le nombre de chevaux au Royaume-Uni, et que chacun a un rôle à jouer : le secteur des courses souvent accusé de produire trop de chevaux, les marchands, les nomades qui laisseraient leurs équidés se reproduire librement, les éleveurs professionnels qui continuent à élever tout simplement parce qu’ils l’ont toujours fait, etc. L’association pointe aussi les amateurs : « Élever un poulain par an, ou juste un seul dans sa vie, peut sembler avoir peu d’impact. Ce n’est pas le cas. Si des milliers de personnes font toutes la même chose, ces poulains ajoutent un nombre énorme de chevaux supplémentaires », peut-on lire dans la brochure. Une enquête menée par l’association a en effet permis d’établir que les personnes élevant 1 à 5 poulains dans leur vie apportent collectivement trois fois plus de naissances (1.305) que celles qui produisent 11 à 15 poulains (406) ou même ceux qui en font naître entre 50 et 100 (424).
World Horse Welfare souligne donc qu’il est important que chacun questionne ses choix d’élevage et mesure les impacts de ceux-ci. La brochure expose notamment les coûts et les risques liés à la reproduction puis à l’élevage d’un poulain : problèmes de santé de la mère, côté aléatoire du croisement, risque d’avoir un poulain qui ne correspond pas à ses attentes ou ne soit pas montable pour diverses raisons,… Le feuillet « Need to Breed ? » démonte aussi plusieurs mythes autour de l’élevage, en voici quelques-uns :
- « Élever est toujours rentable » : Il est devenu de plus en plus difficile de se faire de l’argent en élevant, et il n’y a aucune garantie. Les frais de reproduction, d’entretien, etc, d’un poulain sont en effet de plus en plus élevés, et beaucoup d’éleveurs doivent vendre leur production à perte.
- « Cela coûte moins cher de faire naître un poulain que d’acheter un cheval de compétition » : Ce n’est pas nécessairement vrai, car en plus des coûts liés à la reproduction, il peut par exemple y avoir des frais supplémentaires en cas de problèmes de santé, insémination qui ne prend pas d’emblée, etc. Les frais pour faire naître et entretenir un poulain jusqu’à l’âge de 4 ans atteignent facilement 23.000 euros selon World Horse Welfare.
- « Produire avec une bonne jument et un bon étalon donne toujours un bon poulain » : Même s’il est essentiel d’avoir de bons parents, le poulain peut malgré tout présenter des problèmes. Comme nous l’expliquions précédemment dans un article, l’élevage n’est pas une science exacte, et il faut de l’observation et des connaissances pour trouver un bon croisement.
- « Avoir un poulain est facile pour la jument » : Bien qu’il s’agisse d’un processus naturel, cela ne signifie pas qu’il est sans stress. Même dans le cas d’une gestation et d’une naissance sans problème, la jument est soumise à beaucoup de stress physique.
- « Élever est une bonne chose à faire avec une jument au repos ou à la retraite » : Si la jument n’est plus montée, on peut se demander si c’est bon pour elle de porter le poids supplémentaire d’un poulain. Et s’il s’agit d’une jument blessée, il est important de savoir si ce problème est d’ordre héréditaire.
- « Je peux garantir une maison à vie pour le poulain » : Même avec les meilleures intentions, il est impossible de donner ce genre de garantie. Des accidents ou problèmes financiers peuvent par exemple toujours survenir.
A travers ce portrait plutôt noir de l’élevage, World Horse Welfare veut surtout inciter chacun à réfléchir doublement avant de se lancer. Faire naître un poulain peut en effet être une très belle aventure, mais cela comporte une série de risques et d’aléas qu’il faut être prêt à assumer tant financièrement que personnellement. L’association précise aussi qu’il existe des alternatives, comme par exemple adopter un poulain en refuge.
Ce souhait de limiter l’élevage peut sembler radical, mais c’est néanmoins un sujet qui mérite réflexion. La situation des chevaux en Belgique, France ou Suisse n’est pas forcément comparable à celle du Royaume-Uni, toutefois il est intéressant que chacun soit conscient des conséquences que peut avoir l’élevage d’un poulain, et du fait qu’on peut directement ou indirectement jouer un rôle pour éviter que des chevaux finissent négligés ou abandonnés.