Elevage : comment choisir le bon étalon pour sa jument ?

Lorsqu’on souhaite élever un ou plusieurs poulains, l’aventure commence souvent par la sélection d’un étalon reproducteur. Aujourd’hui le choix ne manque pas, ce qui est intéressant mais complique souvent la tâche des professionnels comme des amateurs ! Nous avons donc demandé à Daniel Boudrenghien, fondateur de Horse of Belgium et éleveur de longue date, comment trouver le meilleur étalon en fonction de sa jument. Il nous a livré des conseils destinés aux chevaux de sport et plus principalement d’obstacles, mais ses recommandations s’avèrent aussi pertinentes dans de nombreux autres cas :

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Le choix d’étalons, jeunes comme expérimentés, est désormais très large. Ici en photo Okavango Sitte (3 ans) avec Nicolas Boudrenghien. (© Photo Evènement)

On croit parfois que pour faire naître un bon cheval, il suffit d’avoir une bonne souche ou encore de croiser deux cracks. Or, l’élevage est loin d’être une science exacte, bien au contraire ! Au moment de choisir un étalon pour saillir sa jument, il ne faut donc pas simplement s’arrêter au pedigree… « Il y a souvent un malentendu à ce sujet », confie Daniel Boudrenghien, fondateur de Horse of Belgium et éleveur/étalonnier de longue date. « La plupart des éleveurs arrivent chez moi avec les papiers de leur jument en main et me demandent quel étalon lui conviendrait le mieux en fonction des origines. Or, c’est insensé d’élever en croisant des papiers, du moins si l’on veut réussir et produire régulièrement de bons chevaux qui se vendent bien. »

Connaitre sa jument par cœur

Pour Daniel Boudrenghien, la base d’un bon croisement repose sur une excellente connaissance de sa jument poulinière. L’idée n’est pas de se limiter à sa robe, sa taille ou ses origines, mais de savoir par exemple comment est son galop, si c’est un cheval qui a beaucoup d’équilibre ou non, quel est son caractère, etc. Bref, l’éleveur doit connaitre sur le bout des doigts les qualités et défauts de sa jument afin de trouver l’étalon qui pourra lui correspondre le mieux. « Lorsqu’on a une poulinière avec beaucoup de qualité, du respect, du recul et de bonnes prestations en concours d’obstacles mais sur de petites épreuves car elle n’a pas de moyens, on fera en sorte de la croiser avec un étalon qui va lui apporter des moyens et de la mécanique de galop », illustre Daniel Boudrenghien. « Il en va de même avec une jument qui manque de sang par exemple. Evidemment, quand on cherche à compenser plusieurs défauts, il faut souvent faire des compromis car on trouve rarement un étalon qui peut apporter tout ce qu’on recherche.»

Il est essentiel de bien connaitre les points forts et faibles de la jument pour choisir un étalon complémentaire. (© Photo Evenement)

Il est assez simple de récolter des informations sur les qualités et les défauts d’une jument qui a tourné en compétition, notamment en discutant avec son cavalier. Si par contre on souhaite élever avec une jeune jument qui a peu ou pas d’expérience sous la selle, on peut apprendre à la cerner en l’observant au quotidien ou encore en employant le travail à la longe. « C’est très utile pour analyser par exemple les allures, la façon de se déplacer, le sang, la résistance physique, … », précise le fondateur de Horse of Belgium. « On peut également apprendre beaucoup de choses par rapport à sa jument en la faisant sauter en liberté plusieurs fois. »

Voici les principaux critères que Daniel Boudrenghien recommande d’analyser chez la jument (et l’étalon) :


–       la battue
–       la montée du garrot
–       l’articulation du dos
–       la vitesse d’exécution
–       le recul
–       la technique des antérieurs
–       la puissance
–       le respect
–       la trajectoire
–       le courage
–       le sens de la barre
–       la vitesse de sortie du sol
–       le rebondi du galop
–       l’amplitude
–       l’équilibre
–       l’aptitude au changement de pied
–       l’élasticité
–       …
Il faut également observer au niveau de la conformation :

–       les aplombs
–       la forme des pieds
–       la solidité de la ligne de dessus
–       l’orientation de la ligne de dessus
–       la largeur du jarret



–       l’inclinaison de la hanche
–       l’activation de la charnière lombo-sacrée,
qui correspond au seul endroit où la colonne
vertébrale peut se plier fort et qui indique
la capacité du cheval à s’assoir dans le galop

En bref, bien connaître sa jument ne s’improvise pas et demande un certain travail d’observation mais aussi d’apprentissage. « C’est à force d’étudier, d’analyser beaucoup de chevaux ou encore de discuter avec des personnes expérimentées qu’on peut devenir connaisseur », souligne Daniel Boudrenghien. « Il ne faut également pas hésiter à se faire expliquer ce qu’on ne comprend pas, par exemple quand on dit qu’un cheval ne sait pas s’assoir avec sa hanche, qu’il a un mauvais galop, etc. »

Ne pas se laisser aveugler

Une fois que l’on connait bien sa jument et que l’on a ciblé quelles qualités on souhaite lui apporter lors du croisement, il reste à trouver l’étalon qui correspond à ces critères. Et aujourd’hui, l’offre est si vaste qu’il est facile de s’y perdre… Certains préfèrent donc se tourner vers des étalons connus plutôt que des jeunes. Toutefois, un choix n’est pas forcément meilleur que l’autre. « On pense qu’un produit avec un père connu sera plus intéressant d’un point de vue commercial, mais c’est uniquement vrai si le poulain est de qualité et est issu d’une bonne mère. A l’inverse, le choix d’un jeune étalon peut sembler risqué mais si l’on est connaisseur et qu’on mise sur un cheval qui finit par percer en compétition, alors on peut avoir la chance d’être parmi les premiers à posséder l’un de ses produits. »

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Les performances d’un cheval sont intéressantes à prendre en compte, mais pas suffisantes. (© FEI)

Dans tous les cas, il est important de connaître l’étalon aussi bien que la jument. La principale erreur à éviter selon Daniel Boudrenghien est de s’en tenir à ce qu’on peut voir sur un palmarès ou même à la télévision. « En obstacles, il y a une espèce de mythe autour des chevaux qui tournent sur 1m60. On pense qu’ils sont bons s’ils s’alignent sur ces hauteurs, mais l’on oublie de regarder comment ils sont arrivés au bout du parcours… »
Concernant les prestations sur vidéo, le fondateur de Horse of Belgium confie qu’elles peuvent souvent mener à de la déception car elles ne donnent qu’un aperçu très restreint des qualités et défauts de l’étalon. Le travail et le savoir-faire du cavalier peuvent par exemple masquer un manque de courage, une difficulté à changer de pied, etc. « Un cheval peut se transformer au fil du temps grâce à un bon cavalier, mais seules les qualités naturelles (et les défauts) se transmettent en élevage – surtout lorsqu’elles sont marquées », souligne Daniel Boudrenghien. « Si les éleveurs belges ont eu tant de succès avec des étalons comme Darco, Heartbreaker ou encore Clinton, c’est parce qu’ils les avaient vus aux expertises à 3 ans, dans les épreuves pour jeunes chevaux, etc. Ils côtoyaient aussi régulièrement leurs cavaliers et grooms et connaissaient donc ces chevaux par cœur, avec leurs qualités comme leurs défauts. »

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Seules les qualités naturelles se transmettent, c’est pourquoi il est utile d’observer les étalons lorsqu’ils sont jeunes et moins formatés. (© FEI)

Pour bien cibler un étalon et les qualités innées qu’il transmettra, l’idéal est donc de discuter avec son entourage (cavalier, groom,…) si l’on en a la possibilité. Il est également intéressant de regarder l’ensemble du parcours du cheval et notamment ses prestations lorsqu’il était jeune. « Pour citer volontairement un hongre, Hello Sanctos a par exemple très bien appris son métier », illustre Daniel Boudrenghien. « Par contre, à 4 ou 5 ans personne n’en voulait. D’excellents chevaux de sport ne seront donc pas forcément de bons reproducteurs car leurs qualités ne sont pas toujours innées. »

Se fier à la production ?

Outre les papiers et les performances, la production est souvent mise en avant pour justifier la valeur d’un reproducteur. C’est en effet un élément qui peut être intéressant, mais qu’il faut aborder avec une certaine prudence. « J’ai pour habitude de dire qu’on ne connait la production d’une jument que quand elle est morte, car le nombre de poulains qu’elle peut faire naître n’est pas suffisant pour tirer des conclusions », explique Daniel Boudrenghien. « Pour les étalons, un ou deux bons produits ne suffisent pas non plus à justifier ses qualités de reproducteur. Si l’on veut se faire une idée un peu précise, il faut pouvoir observer au moins 50-60 produits et ne pas oublier de tenir compte des juments utilisées. » Certains étalons moyens peuvent en effet voir leur production améliorée par des croisements avec d’excellentes mères, et vice-versa.

Il faut un nombre significatif de descendants pour se faire une bonne idée de la production d’un cheval. (© Photo Evènement).

Vous l’aurez compris : trouver la bonne combinaison jument/étalon ne s’improvise pas mais nécessite d’observer, d’apprendre, de se renseigner et de prendre du recul. Au départ, il est souvent plus facile de se faire entourer et aiguiller par des connaisseurs, c’est pourquoi Daniel Boudrenghien recommande de se tourner vers un étalonnier en qui l’on a confiance et de suivre ses conseils. « Les éleveurs sont parfois un peu dubitatifs lorsqu’on leur recommande un étalon plutôt qu’un autre, mais lorsque le croisement fonctionne, un vrai lien se créée et de belles collaborations naissent. » Sans oublier qu’un croisement réussi apporte généralement davantage de satisfaction à l’éleveur !

Marie-Eve Rebts

Co-fondatrice de Cheval-in, Marie-Eve est cavalière depuis plus de vingt ans, et journaliste équestre depuis une dizaine d'années. Elle pratique le dressage mais adore le monde équestre dans sa globalité, et s'est même essayée avec joie à de nombreuses disciplines comme l'équitation américaine, le TREC ou le horse-ball !