Eugène Mathy : « Je suis encore et toujours passionné par ce sport »

Vice-Président de la FRBSE, président de la LEWB, chef de piste,… Eugène Mathy est un personnage clé des sports équestres en Belgique. Rencontre avec ce perfectionniste à qui l’on doit notamment le Cycle Classique des jeunes chevaux ou encore le Jumping International de Liège.

Eugène Mathy est né dans le monde équestre et lui a consacré toute sa vie. D’abord cavalier international, il a rangé ses bottes pour contribuer au développement des sports équestres au sein des fédérations nationale et régionale belges. Son engagement est exemplaire puisqu’à 81 ans et après de longues décennies d’implication, il est toujours en poste et manifeste la même passion. Eugène Mathy est aussi un perfectionniste et il peut se targuer d’avoir contribué à de multiples projets et avancées dans le monde équestre, même si sa nature le pousse à rester discret plutôt qu’à chercher les feux des projecteurs. Dans cet entretien, il évoque avec nous son parcours, sa vision de l’évolution des sports équestres et bien sûr la passion qui l’anime depuis si longtemps.

Eugène Mathy
Eugène Mathy (© Christophe Bortels)

Aujourd’hui, le nom “Mathy” est inévitablement associé aux chevaux, aussi bien grâce à vous qu’à votre fils Bernard (chef de piste et Président de la Commission obstacles de la LEWB), votre frère François (marchand de chevaux de haut niveau) ou encore votre neveu François Jr (cavalier international). Mais comment avez-vous débuté dans le monde équestre ?

On a commencé par faire de la promenade avec mon frère François, car mon père montait et avait des chevaux. Ensuite on a débuté le concours hippique quand j’avais 17 ans, et mon frère 14. On montait des chevaux tout à fait normaux, puis comme ça se passait pas mal on a progressé, mon père a acheté des chevaux plus qualiteux et nous sommes arrivés petit à petit au niveau international. J’ai arrêté de monter vers 45 ans, quand j’ai repris le commerce d’aliments pour chevaux de mon père. C’est aussi à cette époque que mon fils Bernard a commencé les épreuves poneys, donc je me suis occupé de lui et il a notamment été médaillé en championnats d’Europe poneys et juniors. On a bien sûr aussi suivi le parcours de François qui s’est spécialisé dans le commerce de chevaux et a monté aux Jeux olympiques où il a été médaillé en 1976.

Vous êtes aussi resté dans le monde des concours en devenant organisateur et chef de piste. Qu’est-ce qui vous a poussé à vous lancer ?

A l’époque où mon frère et moi montions en concours, nous étions assez critiques par rapport à la façon dont ils étaient organisés. Paul Daout nous a dit un jour : « Plutôt que de critiquer, organisez vous-mêmes », ce que j’ai fait avec quelques amis. On a débuté dans les années 80 avec une rencontre internationale dans le domaine universitaire du Sart Tilman (ndlr : Liège), à l’intérieur de l’anneau olympique. Mais les chevaux causaient trop de dégâts donc à la fin du concours nous n’étions plus les bienvenus. On a ensuite eu l’opportunité de disposer d’un terrain en herbe à Chaudfontaine et nous avons organisé 13 éditions internationales là-bas, dont le championnat d’Europe des jeunes cavaliers. C’est aussi lors de ce concours que Franke Sloothaak a franchi la barre des 2,40 mètres sur un mur, un record qui tient toujours depuis 1991.

Le record du monde signé par Franke Sloothaak à Chaudfontaine

Malheureusement, sur les 13 années d’organisation à Chaudfontaine, on a connu 10 ans de pluie avant ou pendant le concours. C’est donc devenu inconfortable et en rencontrant le directeur de la Foire Internationale de Liège, il nous a proposé de venir chez lui pour avoir un toit sur la tête. C’est comme ça que le Jumping de Liège est né en 1993 et s’est poursuivi jusqu’en 2019. Après cela, ils ont démoli les halles qui nous accueillaient mais on va en principe redémarrer en 2024 car ils prévoient la fin des travaux des nouvelles infrastructures en milieu d’année. L’objectif est de repartir sur ce qu’on a arrêté, c’est-à-dire un CSI, toutes les finales régionales, etc.

Même si vous n’organisez plus de concours en ce moment, vous continuez à être chef de piste ?

Oui, cela a commencé en même temps que l’organisation de concours et c’est vite devenu mon dada. J’ai construit des parcours un peu partout : au Brésil, en Turquie, en Espagne, en France, en Angleterre,… Je suis aussi le chef de piste des championnats de Belgique des jeunes chevaux à Gesves depuis environ 20 ans, et des championnats du monde des jeunes chevaux à Lanaken depuis une quinzaine d’années. Les jeunes chevaux m’intéressent beaucoup, j’aime les voir évoluer au fur et à mesure des années puis les retrouver sur les épreuves internationales. C’est le cas avec plusieurs participants du Cycle Classique, car notre circuit prépare très bien les chevaux. Sinon, globalement, j’aime le métier de chef de piste car c’est lui qui crée le sport. Le défi est d’attraper la bonne mesure pour que les difficultés ne deviennent pas des casse-jarrets.

« La longueur des foulées de chevaux n’a plus aucune comparaison avec les premières pistes que j’ai construites. »

Eugène Mathy
© Christophe Bortels

Ce sport que vous créez en tant que chef de piste a beaucoup évolué depuis que vous avez commencé. Quels changements remarquez-vous ?

Cela n’a plus rien à voir avec ce que j’ai connu au début. En jumping, la sécurité s’est par exemple beaucoup améliorée, notamment grâce aux cuillères de sécurité qui ont été selon moi la plus belle invention puisqu’il y a beaucoup moins de chutes qu’auparavant. Avant ça, quand on retombait sur la barre de derrière on était sûr d’être par terre avec le cheval.

Les obstacles sont également moins massifs. Quand j’allais voir des concours comme Aix-la-Chapelle lorsque j’étais jeune, le matériel qu’on mettait dans un seul obstacle à l’époque permettrait d’en faire quatre aujourd’hui. Les chevaux étaient puissants, mais peu d’entre eux étaient adroits et les parcours étaient construits en rapport avec la puissance. Après c’est devenu plus technique, plus léger. Ce qui a très fortement changé aussi, c’est la longueur des foulées de chevaux qui n’a plus aucune comparaison avec les premières pistes que j’ai construites. Ces foulées sont plus longues, les chevaux ont beaucoup plus d’amplitude et de sang.

En plus de vos métiers d’organisateur de concours et de chef de piste, votre implication dans les sports équestres passe par diverses fonctions telles que la vice-présidence de la Fédération Royale Belge des Sports Équestres (FRSBE) ou encore la présidence de la Ligue Équestre Wallonie Bruxelles (LEWB). Qu’est-ce qui vous a amené vers cette voie ?

Je suis arrivé à la FRBSE parce que je m’intéressais au sport, j’étais tout le temps dedans et la Fédération cherchait des administrateurs. J’ai continué, je me suis intégré au système, et j’ai notamment créé la Commission d’obstacles car, à l’époque, les sélections se composaient continuellement des dix mêmes cavaliers internationaux et tous les autres râlaient, donc j’ai formé cette Commission afin qu’à la place de deux personnes, ce soit un groupe de six qui décide et rende le processus plus démocratique. Ça a grincé des dents au début puisque c’était un changement, mais le dispositif a continué, a évolué et est toujours d’actualité. J’ai quitté la présidence de la Commission nationale d’obstacles depuis deux ou trois ans, mais j’en suis toujours membre ainsi que Vice-Président de la FRBSE.

Pour ce qui est de la LEWB, nous l’avons créée en 2000, au moment de la division communautaire des fédérations. Au départ j’étais administrateur représentant de la Province de Liège, puis je suis rapidement devenu Président de la Ligue.

Eugène Mathy
© Christophe Bortels

Quel regard portez-vous sur l’évolution de la LEWB et sa situation aujourd’hui ?

La LEWB est arrivée à plus de 40.000 membres et 700 clubs affiliés, ce qui n’est pas rien. Nous couvrons aussi un large spectre de disciplines et cette année, les meilleurs cavaliers belges dans les rankings FEI sont pour la plupart des cavaliers LEWB. C’est la première fois que cela arrive : pour le dressage ce sont quatre des cinq premiers Belges (ndlr : Laurence Vanommeslaghe et Larissa Pauluis avec chacune deux chevaux), pour le jumping le premier (ndlr : Jérôme Guéry, 13e), pour le complet la deuxième (ndlr : Lara de Liedekerke-Meier) et en endurance Karin Boulanger est en tête du ranking FEI en paire cavalier/cheval. Sans oublier bien sûr Michèle George, numéro 1 du ranking mondial en para-dressage.

Ce qui aide, c’est que nous disposons désormais de budgets pour les cavaliers. Ceux qui sont subventionnés par l’Adeps bénéficient notamment de stages de préparation physique, de coaching équestre, etc, depuis quelques années. Le programme Equicadets (ndlr : accompagnement des jeunes cavaliers), qui marche très bien, permet aussi de découvrir les athlètes plus tôt et de les guider vers le haut niveau. Depuis qu’on l’a instauré, il y a pas mal de cavaliers de cette catégorie qui sont passés en international. Avant, ces athlètes restaient plutôt dans leur région et n’osaient pas s’attaquer à d’autres circuits comme la Botte d’Or. Maintenant ils y sont présents et beaucoup obtiennent des bons résultats.

Notre objectif est de préparer les cavaliers pour qu’ils aient accès à l’international, donc on a fort travaillé sur la hauteur des épreuves, la qualité des terrains, la façon de concevoir les avant-programmes, etc. Un de nos buts est aussi d’améliorer la base de l’équitation, et mon fils Bernard qui s’occupe des Equicadets s’est beaucoup concentré là-dessus.

Toujours au niveau de la LEWB, quelles sont les choses à encore améliorer ou les défis à relever ?

J’aimerais qu’il y ait un peu plus de gros évènements équestres en Wallonie mais c’est difficile. A part Arville, Liège quand il a lieu, Bornival et Courrière, les organisateurs préfèrent se focaliser sur leur région plutôt que de se lancer dans des organisations nationales ou internationales. Il y a aussi un manque de grosses structures, pas mal d’installations se développent dans notre région mais elles ne sont pas assez grandes pour des concours internationaux. On peut pourtant trouver de l’aide, la Région wallonne subsidie les ASBL qui construisent pour le sport mais il faut avoir un terrain, puis effectuer des démarches lourdes, et bien sûr avoir la volonté. Il y a toutefois quelques beaux projets qui voient le jour, comme dernièrement à Hemroulle (ndlr : l’Ecurie du Grand Chêne qui a notamment accueilli une manche du Classic Tour).

En ce qui concerne les défis, il est actuellement beaucoup question du bien-être animal, et je voudrais signaler que la FEI, la FRBSE et les Ligues sont des précurseurs en la matière. Il y a des stewards au paddock, à la sortie de piste, dans les écuries, il y a des contrôles anti-dopage et gardiennage 24h/24 lorsque les chevaux logent sur place, etc. Au final, il y a très peu de problèmes constatés sur le terrain.

« J’aime voir un bon cheval, et surtout le voir bien monté. »

Eugène Mathy
© Christophe Bortels

Après toutes ces années d’implication tant au sein de la LEWB que de la FRBSE, qu’est-ce qui vous pousse à continuer ?

Tout d’abord, j’aime le sport et j’aime voir nos cavaliers gagner. Je suis content car j’ai créé le Cycle Classique avec Maurice Olivier à l’époque et ce circuit est devenu un énorme succès au cours des années. J’ai fait entrer l’ancien chef d’équipe de saut d’obstacles Philippe Guerdat, puis j’ai présenté l’actuel Peter Weinberg à Wendy Laeremans (ndlr : Directrice sportive de la FRBSE). J’ai également été chercher Stephan Detry (ndlr : actuel Président de la FRBSE) donc je pense que je n’ai pas mal travaillé même si je ne me suis jamais mis trop en avant. Il y a des choses qui se sont faites grâce en partie à mon impulsion et ça me satisfait. Et puis, je suis encore et toujours passionné par ce sport, j’aime voir un bon cheval, et surtout le voir bien monté.

La relève, y pensez-vous même si vous ne souhaitez pas arrêter ?

Ce ne serait pas sérieux de ne pas y penser… Concernant la LEWB il y aura des décisions à prendre bientôt. Concernant les pistes, c’est déjà fait : mon fils Bernard s’est lancé, il est très doué, il a vraiment le sens de la trajectoire, des foulées et il est déjà niveau 3 international. Il a également commencé à s’impliquer dans différents comités puisqu’il est Vice-Président de la Commission d’Obstacles nationale et Directeur Technique de la  Commission d’Obstacles LEWB. Il est très motivé dans le projet Equicadets et est administrateur au GEPL mais il a aussi un emploi fixe, c’est à lui à tracer son chemin.

Marie-Eve Rebts

Co-fondatrice de Cheval-in, Marie-Eve est cavalière depuis plus de vingt ans, et journaliste équestre depuis une dizaine d'années. Elle pratique le dressage mais adore le monde équestre dans sa globalité, et s'est même essayée avec joie à de nombreuses disciplines comme l'équitation américaine, le TREC ou le horse-ball !