Comportements équins : ces croyances qui cachent souvent des douleurs
Même si le monde équestre dispose de toujours plus de connaissances scientifiques, certains comportements équins sont encore mal compris ou interprétés. Selon la vétérinaire britannique Sue Dyson, un bon nombre de réactions attribuées à de la peur, de la mauvaise foi ou simplement à la personnalité du cheval peuvent en fait être des signes de douleur et d’inconfort. Pour aider les cavaliers à les déceler et à améliorer le bien-être de leur monture, la spécialiste a listé et déconstruit une trentaine de « mythes » équestres comme celui de la jument alezane, du cheval paresseux ou encore du cheval grincheux. Tour d’horizon :
« Il est frais parce qu’il vient d’être tondu », « Il rue après l’obstacle parce qu’il est joyeux », « Il grince des dents parce qu’il est concentré »,… Les cavaliers ont encore souvent recours à des explications toutes faites pour justifier certains comportements désagréables de leurs chevaux. Ces interprétations sont rarement fondées sur des faits scientifiques et elle sont très souvent incorrectes ou complètement fausses, comme l’a constaté la vétérinaire britannique Sue Dyson au fil de longues années de pratique et d’observations.
Cela a amené cette spécialiste des boiteries à lister une trentaine de comportements et mythes qui peuvent en réalité révéler la présence de douleurs musculosquelettiques chez le cheval, et ce même en l’absence de boiterie évidente. Sue Dyson estime en effet que chez certains chevaux, l’inconfort « peut ne pas être une caractéristique constante et ne survenir que dans des circonstances spécifiques (ndlr : sous la selle par exemple, ou à cause de variantes comme le cavalier ou l’équipement) ».
Ces comportements et croyances ont été détaillés par la vétérinaire dans un document publié par l’association World Horse Welfare. L’objectif de la démarche est d’améliorer le bien-être des chevaux, notamment en aidant les cavaliers à se remettre en question et à améliorer leur pratique. Sue Dyson précise en effet que si un cheval présente un ou plusieurs des comportements de la liste mais qu’aucun problème de santé ou douleur n’a été décelé par des professionnels compétents, il y a sans doute d’autres facteurs et explications à explorer. Il peut s’agir de manquements au niveau de l’équitation, de l’entrainement ou des conditions de vie (alimentation, interactions sociales,…), ou encore de problèmes liés à l’équipement et tout autre facteur qui peut causer de l’inconfort et/ou de la peur.
Voici, catégorie par catégorie, un aperçu des comportements que Sue Dyson estime comme révélateurs de douleur – ou du moins problématiques – et les croyances qui y sont souvent liées.
Attitude générale et comportement
- « Mon cheval a toujours été grincheux mais c’est juste sa façon d’être, c’est une jument alezane » : Sue Dyson souligne que les chevaux qui ne souffrent pas n’ont pas de raison d’être grincheux, et qu’il n’existe aucune preuve scientifique indiquant que le tempérament varie selon les robes des chevaux. Les juments peuvent connaitre des changements de comportements transitoires pendant leurs cycles mais si un cheval est régulièrement grincheux à pied ou sous la selle, il faut vérifier s’il ne souffre pas de douleurs chroniques.
- « Mon cheval sursaute toujours, mais c’est parce qu’il est d’un tempérament nerveux » : Les chevaux peuvent s’effrayer pour diverses raisons et l’on peut surmonter cela à l’aide d’un entrainement adapté et d’un renforcement positif. Par contre, si un cheval sursaute à répétitions sans raisons particulières, il peut s’agir d’une réaction comportementale à des douleurs musculosquelettiques. Dans ce cas, une fois la douleur enlevée, les sursauts peuvent cesser.
- « Mon cheval est un vrai gentleman mais je dois mettre beaucoup de jambes. Il est juste très paresseux » : Il peut arriver qu’un cheval refuse d’aller en avant s’il n’a pas été entrainé à répondre aux aides ou si des aides contraires sont appliquées (par exemple trop de pression des rênes en même temps que les jambes). Un manque d’entrain répété peut aussi être signe d’un inconfort causé par l’équipement, par un cavalier trop lourd ou encore par une douleur due à une blessure.
- « Mon cheval est toujours agité parce qu’il aime travailler » : de manière répétée, la tension, la précipitation ou encore l’enthousiasme excessif sont souvent le reflet d’un malaise qui peut être lié à une selle mal ajustée ou encore de faibles douleurs dans les membres. Sue Dyson ajoute qu’un cheval peut être agité à cause d’un cavalier qui donne des aides contradictoires, ou encore à cause d’une alimentation trop riche par rapport à son activité.
Problèmes au niveau de la tête
- « Mon entraineur me dit que des grincements de dents répétés durant l’exercice monté indique que mon cheval se concentre » : Sue Dyson précise que le grincement des dents reflète habituellement du stress, dont la source la plus fréquente est la présence de douleur.
- « Mon cheval secoue sa tête à répétition de haut en bas quand il est monté. On m’a dit qu’il n’avait pas le syndrome de head shaking. Ses dents ont été vérifiées. J’ai essayé différents mors mais rien ne semble le changer. Mon entraineur dit que je devrais le monter rênes lâches parce qu’il est simplement insaisissable. » : Selon la vétérinaire, le fait de secouer la tête est une façon pour les chevaux d’indiquer qu’ils ressentent de l’inconfort qui peut provenir d’un autre endroit du corps. Le fait de lâcher les rênes ne va donc pas de solutionner le problème à long terme, sauf en rendant une éventuelle boiterie plus visible.
Problèmes à l’obstacle
- « Mon cheval rue souvent à la réception d’un obstacle parce qu’il est heureux – il adore sauter » : Les ruades ou coups de pieds à répétition ne sont pas des comportements normaux, même s’ils ne sont pas si rares après les sauts. Ils sont souvent le signe d’une douleur dans la région de l’articulation lombo-sacro-iliaque. Souvent, les chevaux continuent à sauter malgré tout, entre autres parce qu’ils craignent leur cavalier et les conséquences en cas de refus, ou encore parce que le saut provoque la libération d’adrénaline et d’endorphines qui masquent la douleur.
- « Mon cheval a toujours adoré sauter. Il ne s’est jamais arrêté. Je n’ai pas changé de niveau mais maintenant il a commencé à s’arrêter en jumping et parfois sur le cross alors qu’il ne semble pas y avoir de schéma logique. J’ai perdu confiance, donc j’imagine que c’est de ma faute » : Sue Dyson explique que les chevaux peuvent perdre confiance lorsqu’on monte de niveau, qu’on leur demande de sauter de plus grosses barres proches de leurs limites athlétiques, surtout si le cavalier ne trouve pas toujours le bon abord. Cependant, si les refus deviennent réguliers dans un même niveau de compétition et après de bonnes performances, il peut s’agir d’un problème lié à la douleur qui peut être empiré par la perte de confiance du cavalier qui en découle. En général, le problème apparait parce que le cheval anticipe une douleur.
- « Mon cheval atterrit toujours sur le mauvais pied quand on saute à main droite. Même si je lui indique qu’on tourne serré à droite après l’obstacle il se réceptionne toujours sur l’antérieur gauche. J’imagine que c’est son habitude » : Il vaut la peine de vérifier la position du cavalier, car celle-ci peut inciter les chevaux à modifier leur technique de saut. Le plus souvent, si un cheval refuse de se réceptionner sur un antérieur, c’est toutefois à cause d’une douleur. En fonction de la localisation de cette douleur dans la jambe, il préférera atterrir sur un pied plutôt que l’autre. La force exercée sur le sabot est moins importante pour l’antérieur qui se pose d’abord par rapport au deuxième qui atterrit plus verticalement, c’est pourquoi un cheval qui a mal au pied gauche aura tendance se réceptionner sur ce dernier après l’obstacle.
Problèmes au niveau des membres postérieurs
- « Mon cheval est toujours réticent à donner ses postérieurs, en particulier le droit, mais il semble coopératif à tous les autres niveaux. C’est un gentil cheval et il veut plaire, donc j’imagine que c’est juste normal pour lui » : Certains chevaux peuvent avoir subi un évènement traumatique qui les rend inquiets au moment de donner un ou les deux postérieurs mais le plus souvent, cette appréhension est liée à l’anticipation d’un inconfort. Sue Dyson explique que ces chevaux peuvent avoir des douleurs dans la région de l’articulation lombo-sacro-iliaque et ont du mal à se tenir sur un seul membre à l’arrière, c’est pourquoi ils sont réticents à donner leur pied.
- « Mon cheval trébuche beaucoup mais il est un peu du genre maladroit – c’est un grand cheval et il n’a que 7 ans donc il a besoin de plus de temps pour se développer » : Comme le précise Sue Dyson, les chevaux sont mâtures au niveau squelettique à 6 ans. A cet âge, ils ne devraient donc plus trébucher s’ils sont travaillés de manière adéquate, n’ont pas de douleurs, ont un contrôle neurologique normal de leurs membres et des pieds correctement entretenus. Les causes de trébuchements fréquents sont donc à chercher à ces niveaux, notamment parce qu’une douleur peut entrainer une modification de la façon de poser le pied ou le membre.
Tension anormale des rênes
- « Mon cheval s’appuie sur ma main droite (la tension dans cette rêne est excessive) mais je suis droitier donc c’est ma main prédominante et je l’utilise probablement trop fort » : Cette différence de tension sur les deux rênes peut en effet être causée par le cavalier mais alors elle ne devrait pas se reproduire avec un cavalier plus expérimenté. Plus souvent, une asymétrie répétée au niveau de la tension des rênes provient d’une adaptation du mouvement du cheval qui essaye de minimiser la douleur et il en résulte que le mors est tiré d’un côté plutôt que de l’autre. Sue Dyson remarque que les chevaux avec une tension des rênes inégale souffrent généralement de problèmes au niveau des postérieurs et, lorsque ceux-ci sont réglés, le contact redevient plus équilibré entre les deux rênes. Elle souligne toutefois qu’il est important de toujours vérifier que la bouche du cheval est en bonne santé et que le mors convient.
- « Mon cheval s’appuie sur le mors (la tension est excessive mais similaire sur les deux rênes). Mon entraineur sait que je dois aller à la salle pour travailler ma sangle abdominale afin de pouvoir mieux soutenir mon cheval » : La vétérinaire précise qu’une tension excessive sur les rênes est habituellement le résultat d’un manque d’impulsion et d’engagement des postérieurs. Cela peut refléter l’incapacité du cavalier à rester stable et équilibré, et à utiliser correctement ses aides. Mais si le problème persiste avec un bon cavalier et un travail adéquat, il y a de fortes chances que ce problème de tension des rênes soit lié à de la douleur chez le cheval, qui s’appuie sur l’avant-main car c’est trop inconfortable pour lui d’engager mieux ses postérieurs.
Problèmes durant le harnachement et le montoir
- « Mon cheval s’est toujours retourné pour mordre la zone de la sangle pendant le sellage mais c’est juste un cheval grincheux – ça fait partie de son caractère » : Si ce comportement est répété, il peut être associé à des ulcères gastriques ou plus rarement à une sangle inconfortable selon Sue Dyson. Cependant, les causes les plus fréquentes sont une selle mal adaptée ou de la douleur pendant l’exercice monté qui cause des boiteries ou des irrégularités au galop (galop à 4 temps, absence de temps de suspension, transitions non voulues vers le trot,…). Le cheval réagit de cette manière au sellage car il anticipe la douleur à venir pendant la séance.
- « Mon cheval n’a jamais voulu rester stable au montoir, mais c’est vraiment un cheval qui a de l’allant donc ça reflète son caractère » : Un cheval qui ne tient constamment pas en place devant un montoir peut refléter un manque d’éducation. Mais ce phénomène peut aussi être causé par une selle mal adaptée ou une douleur musculosquelettique durant l’exercice monté. A nouveau, l’agitation du cheval est liée à l’anticipation de l’inconfort à venir.
Problèmes au galop
- « Mon entraineur et moi ne voyons aucune boiterie, mais mon cheval ne veut jamais galoper à main droite. C’est juste normal pour lui » : Un cheval adulte et correctement entrainé devrait pouvoir galoper aussi facilement sur le pied droit que gauche. Certains chevaux trottent de façon symétrique et semblent travailler sans problème au trot mais sont dans l’inconfort au galop car la mécanique de l’allure est différente et le poids du cheval est réparti sur un seul membre à la fois (alors qu’au trot la charge est symétrique). Les chevaux qui souffrent à cause de cela peuvent alors refuser de galoper.
- « Mon cheval de 7 ans se désunit régulièrement au galop aux deux mains, en particulier dans les tournants. Mon entraineur me dit que c’est parce que je ne m’assied pas assez, mais cela arrive aussi quand mon ami qui est meilleur cavalier que moi monte mon cheval » : Contrairement au trot, le galop est une allure asymétrique dans laquelle le postérieur extérieur porte lui tout seule le poids du cheval au début de la foulée. Un jeune cheval immature qui manque de coordination et de force au niveau musculosquelettique peut facilement se désunir, surtout dans les coins, mais un cheval de 7 ans ne devrait pas produire ce genre de comportement. Si cela se répète, c’est souvent le signe d’un problème au niveau des postérieurs.
Problèmes divers
- « Mon cheval a toujours été plus difficile pour tourner à droite qu’à gauche. Ses dents ont été vérifiées et tout va bien. Mon coach dit que le mors convient et c’est juste que le cheval est étrange » : Des difficultés répétées à tourner dans une direction sont presque toujours liées à de l’inconfort si le cheval est entrainé correctement. Il peut y avoir différentes causes : douleur dans la bouche, dans la nuque ou encore dans les membres.
- « Depuis que j’ai acheté mon cheval il y a deux ans, il n’a jamais voulu marcher droit dans les descentes. Il semble toujours vouloir aller de travers comme un crabe » : Normalement, un cheval devrait être capable de s’équilibrer avec son cavalier pour marcher droit en descente. Cependant, si le cheval a des douleurs musculosquelettiques ou si la selle est mal adaptée, l’inconfort peut être plus grand en descente, par exemple parce qu’il y a davantage de force appliquée sur les antérieurs. Il se peut donc que pour minimiser cette douleur, le cheval marche de travers en descente. Il faut toutefois ne pas négliger le fait que si le cavalier se tient de façon asymétrique, il peut modifier la façon dont son cheval se déplace.
Au regard de ces exemples, il s’avère que de nombreux comportements équins ne sont sans doute pas aussi anodins qu’on le pense… Il ne faut évidemment pas s’alerter dès que son cheval rue, se désunit au galop ou tend ses rênes de façon inégale mais si ces comportements ont tendance à se répéter, le premier réflexe à avoir est de s’assurer que ces comportements ne soient pas révélateurs d’une douleur.
Vous pouvez retrouver le document complet de Sue Dyson (en anglais) en cliquant ici.