Le sevrage des poulains, une pratique à revoir ?

Au sein des élevages, le sevrage des poulains a généralement lieu vers l’âge de 5 à 7 mois, soit beaucoup plus tôt que dans la nature. Une étude récente a démontré que plusieurs mois après cette séparation artificielle, les poulains restent particulièrement attachés à leur mère et qu’il serait donc judicieux de repenser les pratiques de sevrage. Explications :

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Alimentation, nourriture, hébergement,… Les conditions de vie des chevaux à l’état domestique diffèrent beaucoup de celles dans la nature. Il en va de même pour le sevrage des poulains : dans les élevages, ceux-ci sont généralement séparés de leur mère entre 5 et 7 mois, alors que dans la nature ils tètent jusqu’à 9 mois et conservent un lien avec leur maman jusqu’à l’âge de 1,5 ou 2,5 ans. Ce décalage important a interpellé un groupe de chercheurs français et les a amenés à se poser plusieurs questions :

  • Les poulains reconnaissent-ils encore leur mère parmi d’autres juments familières plusieurs mois après le sevrage ?
  • Préfèrent-ils encore leur maman après ce laps de temps ?
  • La préférence pour la mère est-elle plus marquée chez les poulains ou les pouliches ?

Pour répondre à ces interrogations, les chercheurs ont eu recours à une expérimentation impliquant 15 pouliches et 19 poulains sevrés à l’âge de 7 mois. Ces jeunes chevaux n’ont ensuite plus eu l’occasion d’interagir visuellement ou vocalement avec leurs mères durant 5 mois. Après cette période, soit à l’âge de 1 an, les poulains et pouliches ont été mis au paddock en présence de deux chevaux connus : leur mère et une autre poulinière faisant partie du groupe dans lequel ils ont grandi. Concrètement, ces juments étaient placées dans des enclos contigus mais bien distincts et étaient attachées de sorte à toujours faire face aux poulains. Ceux-ci pouvaient par contre se déplacer librement et entrer en contact avec la ou les juments de leur choix au travers des barrières.

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Le test a duré 3 minutes et les poulains étaient observés par des caméras. Les chercheurs ont notamment étudié quelle jument était approchée en premier, quels étaient les regards et interactions (reniflement, vocalisations,…) ou encore combien de temps les poulains restaient dans les « zones de contact », soit à moins de 3 mètres de chacune des juments. Ils ont remarqué très peu de comportements vocaux de la part des mères comme des poulains, par contre ces tests ont permis plusieurs observations intéressantes :

  • Trois quarts des poulains (mâles et femelles) se sont dirigés en premier vers leur mère.
  • Les jeunes chevaux reniflaient leur mère plus longtemps que l’autre jument et avaient tendance à la regarder plus souvent.
  • Par rapport aux poulains, les pouliches ont passé plus de temps à proximité des deux juments et avaient davantage d’interactions avec elles (regards plus fréquents, reniflements plus longs).

Un lien mère-poulain qui perdure

Comme l’expliquent les chercheurs, les résultats de ce test confirment que non seulement les poulains sevrés « artificiellement » se souviennent de leur mère 5 mois après la séparation, mais en plus ils préfèrent celle-ci à une autre jument connue. « Cela montre que les chevaux ont des souvenirs à long terme de leurs congénères et suggère que, malgré la séparation, le lien jument-poulain reste fort, en particulier chez les pouliches », soulignent les scientifiques. L’attachement plus marqué des pouliches à leur mère mais aussi aux juments familières confirme d’autres études. Il pourrait s’expliquer par le fait qu’après la saison de reproduction, les juments sauvages ont tendance à continuer leur vie avec les femelles de leur groupe alors que les jeunes étalons se rassemblent en troupeau de même sexe et ont donc moins d’intérêt à rester près de leur mère.

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Poulains ou pouliches restent cependant attachés à leur maman jusqu’à un certain âge, même en cas de sevrage « naturel », c’est-à-dire non provoqué par l’homme. Des études ont en effet démontré que le lien jument-poulain pouvait même perdurer après la naissance d’un frère ou d’une sœur. « Le fait que les poulains manifestent encore une préférence pour leur mère, même après plusieurs mois de séparation, remet en cause la pratique du sevrage artificiel, généralement réalisé à l’âge de 5-7 mois et réputé stressant », selon les scientifiques.

Laisser vivre les poulains avec des congénères de même sexe et de même âge ne serait en effet pas suffisant, les jeunes chevaux ayant aussi besoin du soutien social de leur mère et des autres adultes de leur groupe familier.

Changer complètement les pratiques de sevrage ?

Cette expérimentation française n’est évidemment pas la seule à remettre en cause le sevrage à l’âge de 5-7 mois, qui a surtout été instauré dans les élevages pour des raisons pratiques et économiques : manipulation et vente plus rapide du poulain, remise au travail de la jument et gestion plus facile de son état, etc. En contrepartie de ces avantages, la séparation brutale de sa mère est généralement un moment très stressant pour le poulain, qui peut engendrer une perte d’état physique ou encore l’apparition de tics.

Pour atténuer ces effets négatifs, certains élevages optent pour des méthodes plus douces, comme par exemple la séparation progressive de la mère durant quelques minutes à quelques heures par jour, et ce jusqu’au sevrage « définitif ». D’autres techniques consistent à enlever une par une les mères au sein du troupeau, ou encore à séparer la mère du poulain à l’aide d’une clôture pour ne pas interrompre trop brusquement les possibilités de contacts entre eux. La méthode la moins stressante reste cependant celle du sevrage spontané, c’est-à-dire sans intervention de l’homme.

Retrouvez ici l’ensemble de l’étude réalisée par Léa Lansade, Frédéric Lévy, Céline Parias, Fabrice Reigner et Aleksandra Górecka-Bruzda.

Marie-Eve Rebts

Co-fondatrice de Cheval-in, Marie-Eve est cavalière depuis plus de vingt ans, et journaliste équestre depuis une dizaine d'années. Elle pratique le dressage mais adore le monde équestre dans sa globalité, et s'est même essayée avec joie à de nombreuses disciplines comme l'équitation américaine, le TREC ou le horse-ball !