Interview | Catherine Senn, l’art de la voix avec le cheval
Faut-il parler ou non à son cheval ? La question fait parfois débat mais pour Catherine Senn, parler aux chevaux est une évidence. Depuis plus de 20 ans, cette formatrice et comportementaliste équin enseigne en effet comment se servir de sa voix avec les chevaux. Elle en a fait plus largement un outil au service d’une approche positive et douce. Dans cette interview, Catherine Senn nous explique comment la voix est devenue un outil privilégié pour entrer en relation avec les chevaux, quels sont ses effets et comment l’utiliser :
Catherine Senn, pourquoi est-ce utile de parler aux chevaux alors que ces animaux communiquent principalement de façon silencieuse ?
Il est vrai qu’un cheval hennit, exprime des choses vocalement mais comme la majorité des animaux, il ne parle pas avec les autres. La parole est l’apanage de l’humain. Pourtant, même si les chiens ne discutent pas entre eux, on leur parle beaucoup et ils nous comprennent – tout comme les chevaux ! La voix est un outil fabuleux qui travaille sur l’émotionnel, le psychologique, le mental, bref sur tout l’intérieur du cheval. Les chevaux y réagissent extrêmement bien.
A la base, tout ce qu’on fait avec les chevaux, tout ce qu’on leur demande, n’a pas vraiment de sens à leurs yeux. Il est donc important de nous faire comprendre et la voix est un outil formidable pour cela. J’ai en effet réhabilité beaucoup de chevaux qui étaient en souffrance parce qu’ils ne comprenaient pas, et la voix m’a permis d’aller chercher à l’intérieur d’eux-mêmes ces équidés qui étaient fermés, qui ne voulaient plus rien, qui n’écoutaient plus, etc.
Qu’est-ce qui vous a amené à travailler sur le comportement des chevaux, quel est votre parcours équestre ?
J’ai commencé à monter à cheval à 14 ans et j’ai une base classique, mais j’ai eu la chance de croiser des chevaux que je considère comme étant mes maîtres. L’équitation enseigne la manière de s’occuper du cheval, de le monter, de le soumettre mais hélas elle s’enseigne pas le cheval en lui-même, comment il pense et fonctionne. Je trouve qu’il y a souvent un formatage du cavalier qui invite à ne pas regarder le cheval, ne pas l’écouter, ne pas lui parler. Or les chevaux m’ont expliqué d’autres choses.
Quand j’ai débuté l’équitation, j’ai observé une jument se transformer quand son propriétaire venait. Elle devenait lumineuse, était heureuse de voir ce monsieur qui venait la préparer pour la monter. Cette jument a été la première à me faire comprendre qu’un cheval peut s’attacher, manifester de la joie, ce que je n’avais jamais vu auparavant. J’ai trouvé ça génial et je me suis dit que c’était ce que je voulais.
Ensuite, la même année, j’étais en balade et la jument que je montais m’a embarquée en quittant le groupe. Cette situation de stress et de peur m’a fait percevoir la pensée de la jument car quand j’ai commencé à vouloir la ralentir et la retenir, je l’ai senti se poser la question « Qui c’est là-haut ? Qu’est-ce que c’est ? ». A partir de ce jour-là, chaque fois que je suis montée sur un cheval j’ai eu le besoin de lui dire : « Je suis là, on est ensemble ». J’ai notamment travaillé chez des marchands, j’ai créé une association de théâtre équestre dans laquelle on formait les chevaux avec des cavaliers et non cavaliers et j’ai aussi enseigné. C’est d’ailleurs à cette occasion que je me suis rendu compte que tout le monde n’avait pas la même approche que moi. Les gens montent souvent sur un cheval comme sur un vélo ou une moto, sans chercher à établir une connexion. Pour moi, c’est devenu un réflexe, une habitude de me connecter au cheval.
« Avec la voix, je peux donner au cheval envie d’être avec moi, le faire adhérer et il ne se rendra pas compte qu’il travaille. »
Pourquoi et comment avez-vous fait de l’utilisation de la voix une véritable approche vis-à-vis des chevaux ?
J’ai toujours parlé aux chevaux, c’était très naturel dès le départ pour moi. Dans la mesure où je voulais créer une connexion, je me suis toujours adressée à eux comme on peut le faire avec un chien. Il y a toutefois eu un épisode qui m’a fait aller plus loin. Un jour, je suis allée au cirque Gruss avec ma fille, on a regardé les chevaux à l’entrainement et j’ai vu une jeune femme travailler un cheval en liberté en lui donnant des ordres à la voix. Elle lui disait de marcher, trotter, etc, puis à un moment elle lui a demandé vocalement de s’arrêter et de reculer. Je n’avais pas imaginé qu’on pouvait demander ça à distance à la voix, et ça m’a fait aller plus loin. J’ai commencé à utiliser la voix à distance, ce qui m’a amenée à beaucoup de nouveaux exercices et notamment à la création de l’équility (ndlr : équivalent équin de l’agility) en 2010. J’ai également mis en place des formations pour lesquelles j’ai dû analyser l’utilisation de la voix, car auparavant je l’employais principalement à l’instinct, de façon très naturelle.
Justement, quelles sont les clés pour bien utiliser la voix avec le cheval ? Est-ce seulement une question de mots ?
Je considère qu’il y a environ 10% de mots, et tout le reste c’est autre chose. La voix est une musique composée d’ondes, elle crée une ambiance. J’enseigne plus d’une dizaine de formes de voix différentes, qui ont toutes une fonction précise. Souvent, les cavaliers utilisent la voix pour gronder leur cheval ou leur crier dessus, mais ils l’emploient rarement pour parler avec lui. Or pour moi, la voix est une entrée en relation et en communication avec le cheval. Quand je parle, je transmets qui je suis. Le cheval a besoin d’un chef de troupeau, de quelqu’un qui le rassure et le sécurise. Donc par ma voix, je vais me présenter comme quelqu’un de sympathique et qu’on peut suivre en toute sécurité. Avec la voix, je peux donner au cheval envie d’être avec moi, le faire adhérer, et il ne se rendra pas compte qu’il travaille. Je peux aussi lui demander de se concentrer avec la voix, le récompenser, etc.
Toutes les formes différentes que je donne à ma voix jalonnent les séquences de travail entre les moments où il faut que le cheval se concentre, où il peut se relâcher, où il doit faire attention, etc. Il y a aussi les apprentissages et la voix fonctionne alors comme le clicker en récompensant le cheval au moment où il répond. En fait, on peut parler de pédagogie associée à la voix. Cette dernière est positive mais pas permissive : ce n’est pas parce que je suis gentille qu’on fait n’importe quoi, qu’il n’y a pas de précision, de rigueur ou encore de technicité. Le cheval a besoin d’un cadre comme tout être vivant car cela le rassure et le sécurise. Mais surtout, la voix donne du plaisir, elle encourage le cheval à participer et tout devient alors facile. Je ne gronde d’ailleurs jamais un cheval, je n’en ai pas besoin car je leur donne envie de travailler avec moi grâce à la voix.
La voix seule suffit-elle pour guider un cheval ?
Je travaille toujours sans stick, avec quelques gestes mais la voix reste centrale. Par contre, la voix fonctionne avec le regard car celui-ci est directement lié au cerveau et retraite les images. Donc quand on donne des consignes verbales et que le cheval regarde devant lui, il les capte mais il traite en même temps d’autres informations avec son cerveau. Si on veut qu’un enfant ou un chien se concentre sur nous, on lui demande de nous regarder. Avec le cheval c’est pareil. La voix sans le regard, c’est insuffisant. Il y a tout un travail à réaliser pour capter le regard du cheval car, en tant que proie, il a plutôt tendance à ne pas nous regarder et à être dans la fuite contrairement à un chien qui fixe plus facilement du regard. Le tout premier travail que je fais, c’est l’appel du nom et petit à petit je travaille le regard pour que le cheval me voie comme quelqu’un qui va le protéger et le rassurer, pas comme un prédateur.
« Je regarde le cheval et je parle en fonction de lui, je me synchronise pour transmettre quelque chose de juste. Ce ne sont pas des paroles au hasard. »
En quoi la voix est-elle un outil pour arriver à établir une relation de confiance et un partenariat comme vous recherchez ?
Un peu comme quand on va à l’école, le programme est similaire d’un prof à l’autre mais avec certains les leçons sont agréables et avec d’autres elles sont ennuyeuses. En tant que cavaliers, nous sommes des animateurs de séance et la voix contribue à l’ambiance. Je parle tout le temps car la voix est une musique. Dès que je me tais, les chevaux vont automatiquement penser à leurs histoires de chevaux et si je leur demande quelque chose à ce moment-là, leur cerveau est parti. Or j’ai besoin que le cerveau reste attentif à moi, c’est pourquoi je parle.
Je ne lasse pas le cheval car je ne parle pas pour parler, je lui parle à lui et il est concerné. Je regarde le cheval et je parle en fonction de lui, je me synchronise pour transmettre quelque chose de juste. Ce ne sont pas des paroles au hasard.
Est-ce difficile d’apprendre à se servir de sa voix avec les chevaux ?
Je constate que c’est plus facile pour les non cavaliers, et à l’inverse ça se complique à mesure que le cavalier monte en niveau car on lui a souvent appris à ne pas regarder son cheval, à s’imposer, etc. Travailler avec la voix, c’est notamment se rendre compte de ce qu’on transmet à travers elle. Il ne suffit pas de parler, il faut faire attention à comment on se présente devant le cheval, ce que l’on dégage car c’est la première chose que l’animal va percevoir de façon instinctive. Il faut avoir conscience de ce qu’on envoie quand on est face à un cheval : est-ce que je suis dans le désordre ? Est-ce que j’ai peur ? Suis-je en colère ? Car le cheval va percevoir cela avant tout le reste et cela va évidemment transparaître dans la voix. Il y a donc un vrai travail sur soi à réaliser pour se structurer et bien fonctionner avec un cheval. Pour le reste, il s’agit de notre voix donc c’est assez naturel de l’utiliser, il n’y a rien de très savant !
En plus d’organiser des formations, Catherine Senn a aussi consacré plusieurs livres à l’art de la voix avec le cheval. Retrouvez plus d’infos à ce sujet sur son site internet.