Christophe Ameeuw : « Chantilly est une carte postale d’exception »
Propriétaire des Ecuries d’Ecaussinnes et fondateur de la société EEM à qui nous devons la série des Masters, Christophe Ameeuw a vu ses activités durement touchées par la crise sanitaire. L’homme n’a toutefois rien perdu de son enthousiasme malgré les quinze mois difficiles qui viennent de s’écouler. Entrepreneur dans l’âme, il s’investit désormais corps et âme à Chantilly, une ville marquée d’histoire équestre et qui doit à présent incarner l’avenir dans un monde nouveau.
Christophe Ameeuw, comme l’ensemble du secteur événementiel, vous avez été frappé de plein fouet par la crise du Covid. Comment avez-vous géré ces quinze derniers mois ?
Fin janvier 2020, lorsque le Covid s’est installé en Asie, nous nous sommes retrouvés avec un événement (Ndlr : les Masters de Hong-Kong) prêt à être livré et annulé une semaine avant sa tenue. Les conséquences étaient énormes : pas d’assurance, cas de force majeure, et de nombreuses négociations avec les autorités et nos partenaires. En février, quand nous sommes rentrés en Europe, très éprouvés par cette annulation et très affaiblis, les gens nous regardaient bizarrement.
Nous étions les premiers touchés en Asie. C’était de l’autre côté de la planète, mais nous avions déjà pris conscience que cette pandémie n’allait pas s’arrêter et n’avait pas de frontières. Nous savions qu’il allait y avoir une cascade de mauvaises nouvelles, d’annulations et de conséquences dramatiques. Et ce qui devait arriver est arrivé. Nous avons directement dû annuler New-York en avril, Lausanne en juin et Paris en décembre. Fracture sociale, fracture de contrat, jusqu’à perdre notre sponsor en titre. Nous avons dû fermer notre filiale à Hong-Kong où travaillaient douze personnes et avons ensuite dû en faire de même avec nos filiales de Paris, New-York et Lausanne.
Nous avions la tête dans le guidon. Nous avons dû prendre des décisions énormes. Je remercie sincèrement nos partenaires et nos équipes de nous avoir toujours accompagnés et jamais abandonnés. Nous nous en sommes sortis sans déposer le bilan, sans égratignures et avec une expérience qui nous a permis de nous renforcer. Nous avons souvent pensé mettre la clef sous le paillasson mais nous avons trouvé des solutions. Dans cette situation difficile, nous avons pu compter sur nos partenaires, nos équipes et nos fournisseurs. Nous avons pu mesurer que notre empreinte créée ces vingt dernières années était solide, fidèle et respectueuse. Cela nous a amené énormément de considération et énormément d’aide. Je suis assez fier de ça.
En mars 2020, vous parliez déjà du « monde d’après », « d’opportunité à saisir » et de « remise en question ». Est-ce toujours votre discours aujourd’hui ?
Oui, c’est toujours mon discours. Et même plus que jamais ! Si nous ne changeons pas notre modèle économique et notre style de vie, et si nous ne nous adaptons pas à un monde nouveau, ce serait vraiment dommage que cette crise ne nous ait rien apporté et rien appris. Toute cette souffrance serait du gaspillage. C’est sûr que nous devons tirer une leçon de cette crise et nous adapter. Quinze mois plus tard, ce discours a encore plus de sens.
Concrètement, vers quoi nous dirigeons-nous ?
Avec la pandémie, jamais personne ne va pouvoir donner la garantie que les événements pourront se dérouler normalement. Nous allons devoir vivre avec les variants et nous adapter. Je pense que les indoors seront les plus fragilisés dans le monde événementiel. Nous aurons beaucoup plus de garantie en réalisant des événements à l’extérieur. Naturellement je suis triste car j’ai créé ce concept indoor : mettre le sport en scène, faire du show, du son, de la lumière, du spectacle… Est-ce que je regrette d’avoir fait ça ? Non, car c’était nécessaire pour mettre notre sport sous les projecteurs et toucher des nouveaux fans.
Mais, dans ce monde de demain, je me vois beaucoup plus livrer des événements à l’extérieur dans un environnement beaucoup plus vert, accessible et familial. Cela coûtera beaucoup moins cher de réaliser un événement extérieur qu’un événement intérieur pour lequel il faut louer un hall en plein centre-ville. Sans oublier qu’il y a aujourd’hui la crise sanitaire et qu’il y aura ensuite la crise financière. La pandémie va peut-être s’arrêter en 2022 ou 2023, mais après il y aura les conséquences économiques. Ce n’est pas demain que nous retrouverons des sponsors qui mettront des montants aussi élevés que ces dix dernières années.
En octobre 2020, en pleine crise sanitaire, vous annonciez le retour des Masters, à Chantilly. Pourquoi cette destination ?
Aujourd’hui, avec un événement extérieur, nous nous donnons des moyens sanitaires, logistiques et économiques. L’idée est aussi de remettre le cheval dans un contexte plus naturel, dans son environnement. Et à ce titre, Chantilly est la destination parfaite. Nous devrons composer avec la météo, mais des rendez-vous comme Aix-la-Chapelle ou Calgary ont déjà connu les quatre saisons sur une même journée ou un même week-end et continuent d’exister. Avec ou sans la pluie, le sport va continuer et nous allons devoir nous adapter. Après, en tant qu’organisateur, mon anticipation est de choisir la meilleure date possible. En juillet, ce n’est qu’une question de statistiques, tout s’est bien passé ces dix dernières années. Nous sommes conscients que le climat change et que tout peut arriver, mais juillet est une bonne date.
A Chantilly, nous bénéficions d’une piste exceptionnelle qui ne sert qu’une fois par an, comme à Aix-la-Chapelle. Nous avons là-bas tous les moyens et les outils pour que cela se passe bien. Est-ce que je peux anticiper une catastrophe comme une pandémie ou le ciel qui nous tombe sur la tête ? Non, bien entendu. Mais positif comme je suis, j’ose dire que tout va bien se passer et que nous ferons tout pour que cela se passe bien.
Vous semblez séduit par Chantilly…
Si nous avons trouvé des solutions, c’est parce que nous avions cette reconnaissance du milieu équestre. Et cette reconnaissance a fait qu’il y a un sponsor, Rolex, qui m’a appelé et qui était intéressé par nos activités. Il m’a appelé pour ce que nous faisions et nous lui avons proposé ce concept ambitieux de Chantilly. Aujourd’hui, nous ne sommes plus certains de pouvoir voyager comme avant. C’est-à-dire cinquante semaines par an, avec des chevaux qui circulent à travers le monde en camion, en avion et en bateau. Mais pour nous, ce qui est sûr, c’est que nous voulons faire venir le monde à Chantilly.
C’est un endroit unique, exceptionnel. Il n’y a pas deux grandes écuries, deux châteaux de Chantilly ou deux hippodromes de Chantilly. C’est le plus grand et le plus bel hippodrome d’Europe, le plus grand club de polo d’Europe, il y a 4.500 chevaux en permanence à l’entraînement à Chantilly, il y a le musée du cheval, les spectacles, France Galop,…. Chantilly, c’est la capitale du cheval ! Je peux aller partout dans le monde, je ne pourrai jamais répliquer ce qu’offre Chantilly, tellement c’est une carte postale d’exception. Et nous sommes proches de Paris, à côté de l’aéroport, avec un accès autoroutier à proximité et tous les hôtels nécessaires dans la ville de Chantilly pour recevoir nos partenaires et le meilleur du sport.
Votre ambition est grande pour Chantilly. Vous avez notamment déclaré vouloir en faire l’Aix-la-Chapelle français !
J’avais dit que l’ambition était de faire de Chantilly un Aix-la-Chapelle à la Française. Est-ce que nous allons construire un stade avec 50.000 places assises ? Nous n’en sommes pas encore là. Quand je dis faire un Aix-la-Chapelle à la française, c’est pour le côté pluri-disciplinaires. Nous allons être l’un des rares événements où il y aura du jumping, du complet, du dressage et de l’attelage. L’objectif, dans plusieurs années, et au lieu de se disperser sur de multiples événements, c’est d’essayer de faire de Chantilly le grand rendez-vous, la grande semaine, les 10 jours,… avec toutes les disciplines. Comme Aix-la-Chapelle le fait si bien, avec le meilleur des quatre disciplines. Nous nous donnons trois ans. C’est très court, mais ce serait dommage de ne pas profiter de l’engouement autour des Jeux olympiques de Paris qui se dérouleront en 2024.
Un peu plus tôt cette année, on vous a également entendu parler d’un projet d’installations dédiées à la compétition en Belgique, à La Louvière. De quoi s’agit-il exactement ?
Le projet reste à l’état de projet. Pendant ce confinement, nos chevaux et nos cavaliers professionnels ont heureusement pu continuer à sortir dans des endroits sédentaires comme Lier ou Opglabbeek. Heureusement que ces infrastructures, qui offrent des conditions optimales, étaient là ! On se rend compte que, plus que jamais, nous avons besoin en Belgique d’endroits pour faire du concours, chaque week-end, chaque jour. Nous nous sommes posés la question de la création d’un parc équestre ici dans la région. Il n’y a pas mieux géographiquement. Nous sommes sur la route de Paris, de Bruxelles, de la Wallonie, de la Flandre. Nous sommes proches des aéroports de Charleroi, de Zaventem et de Lille,… Pourquoi donc ne pas créer dans la région une installation sédentaire pour l’organisation de concours ?
Il y a ici quelques entrepreneurs motivés qui veulent animer le Centre. Salvatore Curaba veut ramener le foot louviérois en D1, Wanthy, l’équipe cycliste du top niveau, et Danny Roosens qui pousse le rugby de Soignies au haut niveau. Il existe des projets communs et ils m’ont demandé de m’associer avec eux et d’amener le projet équestre. Nous avons parlé d’un lieu, le parc du Château Boël à la sortie de l’autoroute. Ce n’est pas le seul endroit que nous avons identifié, mais c’est l’un des lieux les plus appropriés.
C’est un très beau projet. Cela pourrait aussi être une base arrière pour les équipes nationales pour les Jeux olympiques 2024. C’est proche, mais si on ne se donne pas des objectifs, on n’arrive pas non plus à appuyer sur des accélérateurs. Ce projet est réalisable mais il y a une vraie lenteur administrative. Il faut que j’arrive à fédérer. Je ne peux pas gravir cette montagne tout seul, il faut une cordée.
En tant que Belge, Wallon et organisateur, que vous évoque la création des concours internationaux de Bornival, Courrière et Welkenraedt en Wallonie ?
Je trouve cela génial. Cela me fait vraiment plaisir que des jeunes cavaliers et des jeunes entrepreneurs se lancent dans l’organisation d’événements car cela reste toujours une opération courageuse mais nécessaire et indispensable. S’il n’y a pas de sport, il n’y a pas d’arbre ni de branche pour nous soutenir. Et je crois que cela va bien fonctionner car nous sommes tous à la recherche d’événements et plus que jamais locaux et de qualité. Je dis bravo. Après, il est normal que nous, acteurs wallons, nous nous rendions compte que toute la filière a besoin de nous et que nous avons besoin de toute la filière. Nous ne pouvons pas nous contenter d’exceller dans le sport, nous devons être sur tous les niveaux. Nous devons tout mettre de notre côté pour pouvoir exceller, performer et exister.
N’avez-vous jamais eu envie de vous investir dans une Fédération ?
Je veux être de bon conseil. J’estime avoir une bonne expérience de terrain. Autant nationale qu’internationale. Tout le monde peut m’appeler. Je suis un membre de la LEWB et de la FRBSE et de la FEI. Je suis ouvert à toutes les discussions constructives. De là à envisager un poste dans une fédération, non, je suis plutôt dans le process accélérateur et je ne peux pas me permettre de dévier de mon chemin.
Il y a aussi votre fille, Louise, auprès de qui vous vous investissez beaucoup…
Depuis qu’elle a 6 ans, elle veut participer aux Jeux olympiques et devenir cavalière professionnelle. C’est sa vie. Sept jours sur sept ! Elle arrive à combiner courageusement ses chevaux, qu’elle monte tous les jours, et sa scolarité dans une école difficile. Ce qu’elle fait même brillamment. Nous ne pouvons être que des parents satisfaits. Tous propriétaires de chevaux, éleveurs ou passionnés rêveraient d’avoir un enfant comme ça. En plus d’être passionnée, elle est courageuse.
Elle vient d’avoir 15 ans et il y a maintenant cette transition entre les children et les juniors, où on arrive directement dans le mètre 40-45. Elle a déjà gagné ses premières épreuves à Opglabbeek et est sélectionnée pour sa première Coupe des nations dans la première équipe à Cabourg. Nous sommes très fiers. C’est une petite fille extraordinaire et tout ce qu’on lui souhaite c’est de réussir tellement elle est obstinée. Elle a bien entendu l’avantage que nous soyons bien intégrés dans le milieu mais c’est elle qui pilote l’avion. Tout pilote a besoin d’un avion mais un avion ne décolle pas s’il n’y a pas de pilote. Il y a aussi une magnifique complicité et réussite avec sa maman, Fernanda. Moi, je suis là pour lui montrer le réalisme de la vie (rires), lui montrer que rien n’est acquis facilement.