Rencontre : Kai-Steffen Meier au chevet du complet belge

Kai-Steffen Meier, 37 ans, est le nouveau team manager de l’équipe belge de concours complet. A la fois lucide et ambitieux, le cavalier allemand – qui est aussi l’époux de Lara de Liedekerke – entend mener la Belgique sur la voie du redressement. La structure, l’analyse et l’entraînement constitueront les trois principaux piliers de sa méthode de travail. Rencontre.

© Christophe Bortels

Kai-Steffen, qu’est-ce qui vous a poussé à présenter votre candidature pour ce poste de team manager de l’équipe belge de concours complet ?

Entraîner est quelque chose que j’apprécie. J’aime travailler avec les gens et à cet égard le projet était intéressant. J’habite aussi en Belgique depuis plus de six ans et durant cette période, j’ai vu des choses qui pouvaient être améliorées. Je ne me voyais pas non plus continuer à monter dix chevaux par jour jusqu’à mes 50 ans. C’est pour toutes ces raisons que ce projet m’intéressait.

Avec votre jeune âge, votre carrière sportive, mais aussi une épouse cavalière et membre de l’équipe nationale, votre candidature avait également de quoi surprendre...

Plusieurs fois je me suis dit que ce n’était peut-être pas le bon moment. Mais dans les sports équestres, c’est difficile – voire même impossible – de trouver quelqu’un qui est totalement neutre. Dans d’autres pays et d’autres disciplines, ce cas de figure s’est déjà présenté. Alors pourquoi pas en Belgique, maintenant ? Je suis très « Allemand » dans ma manière de fonctionner. Comme team manager, je voudrai toujours avoir la meilleure équipe possible sur le terrain. Flamands ou Wallons, hommes ou femmes, avec ou sans Lara,… ce n’est pas important. Ce qui m’intéresse, c’est la performance et rien d’autre.

© Christophe Bortels

Quel regard portez-vous aujourd’hui sur le concours complet en Belgique ?

Il y a quelques années, avant de venir habiter en Belgique, j’avais été impressionné par la qualité des jeunes chevaux engagés à Nokere. Je me suis demandé pourquoi on ne les retrouvait pas plus haut par après. Mais depuis lors, j’ai constaté que les concours jeunes chevaux étaient plus sélectifs qu’éducatifs ici. Ce qui est peut-être déjà un élément de réponse. J’ai aussi remarqué que tout le monde s’entraînait beaucoup en dressage et en jumping mais moins en cross, or c’est le coeur de notre discipline.

En 2019, lors du championnat d’Europe de Luhmühlen, les performances belges en dressage et en jumping étaient bonnes, mais pas sur le cross. Les cavaliers ont besoin de s’entraîner plus sur cet aspect, d’abord pour être sans faute puis pour être plus rapides. Enfin, j’ai aussi remarqué qu’il y a en Belgique beaucoup de bons jeunes cavaliers entre 20 et 30 ans. L’idéal serait de trouver un système afin qu’ils puissent gagner leur vie avec le sport, comme en jumping. Il y a beaucoup de vrais amateurs dans notre discipline mais pour le sport de haut niveau, c’est tout de même mieux de pouvoir compter sur quelques cavaliers professionnels.

De quelle manière pensez-vous pouvoir aider le concours complet belge à se développer et à atteindre ses objectifs ?

J’aimerais tout d’abord mettre un peu de structure pour connecter la base avec le sport de haut niveau, notamment au niveau des règlements. J’ai une vision à long terme et si on veut viser des médailles à l’avenir, nous avons besoin de dix cavaliers aux niveaux 4 et 5 étoiles et une trentaine d’autres derrière prêts à prendre la relève. Ces dernières années, la Belgique s’est essentiellement appuyée sur Karin (Ndlr : Donckers), Joris (Ndlr : Vanspringel) et Lara. Nous avons besoin de plus de cavaliers pour mettre la pression sur ceux qui sont déjà là et provoquer une émulation. Je voudrais que tout le monde se pousse un peu et moi, je peux guider un peu mieux les jeunes cavaliers.

J’aimerais aussi faire prendre conscience que le Lion d’Angers doit être vu comme une étape vers le haut niveau et non comme un aboutissement. En Allemagne, on a toujours utilisé ce rendez-vous pour l’éducation d’un jeune cheval. En Belgique, on prend en revanche le risque de brûler un cheval ou d’empêcher un travail de fond. C’est la raison pour laquelle on a retravaillé le règlement des qualifications, pour qu’il soit moins strict. On doit pouvoir faire en fonction du cheval et de ses besoins. Certains ont besoin de courir moins, d’autres davantage.

Concrètement, quel est votre rôle dans cette nouvelle structure, aux côtés de Dirk Vanswijnsberghe, le manager opérationnel ?

Comme team manager, j’essaie de rester en contact avec tous les cavaliers et de les aider avec leur planning. Mais je n’aime pas imposer car un cheval n’est pas l’autre. Je laisse donc d’abord le planning aux cavaliers. Ici, j’ai regardé qui sont les couples déjà qualifiés pour le championnat d’Europe et ceux qui doivent encore réussir un critère. J’aimerais aussi voir tous les chevaux, notamment sur des séances d’entraînement sur le cross. Je vais essayer de faire cela le plus souvent possible, en étant parfois soutenu par des cavaliers extérieurs comme Christopher Burton qui viendra amener un regard extérieur.

© Christophe Bortels

Le covid et la rhinopneumonie compliquent les choses en ce début d’année…

Ce n’est pas la période idéale mais nous allons trouver une solution. Je me déplace et j’essaie de continuer à voir les cavaliers et les chevaux. En mars, nous avions prévu cinq journées d’entraînement sur le cross. Toutes ont été annulées et devront être remplacées. Nous espérons que la situation sanitaire va s’améliorer. La rhino devrait se régler plus rapidement. Une grosse délégation belge se rendra déjà à Strzegom à la mi-avril pour la reprise de la compétition. Deux semaines plus tard, il y aura Saumur et Sopot, deux longs 4 étoiles. J’espère que ces trois concours pourront être organisés, sans quoi cela va devenir compliqué pour les qualifications.

Quelles sont les prochaines échéances pour la Belgique ?

Il y a les Jeux de Tokyo pour lesquels les règles sont assez claires : la place revient au couple qui a gagné cette place, à savoir Karin et Fletcha. S’il arrive quelque chose à Fletcha, alors la place revient à la Belgique. Deux cavaliers et trois chevaux répondent actuellement aux critères FEI et COIB. Quatre ou cinq combinaisons pourraient encore se qualifier. Tout ceci a été décidé avant mon arrivée mais Karin et Fletcha méritent de toute façon d’aller à Tokyo et c’est leur profil qui correspond le mieux à ces prochains Jeux olympiques.

Je suis pour ma part davantage concentré sur les championnats d’Europe qui se dérouleront fin septembre à Avenches, où nous espérons aligner six chevaux. Comme ce n’est pas un championnat qualificatif pour les Jeux, ce sera peut-être l’occasion de tester de nouveaux couples. Fin juin, nous enverrons une équipe à Avenches pour le 4 étoiles court afin de voir à quoi nous pouvons nous attendre lors du championnat d’Europe et observer quels chevaux conviennent le mieux au terrain. Nous aurons besoin d’un maximum d’informations.

Combien de cavaliers et de chevaux sont actuellement candidats pour défendre les couleurs de la Belgique sur ce championnat d’Europe ?

Avec le changement de règlement imposé par la crise sanitaire, nous avons actuellement six chevaux qualifiés mais seulement trois cavaliers : Karin avec trois chevaux, Lara avec deux et Joris avec un. Derrière, nous avons plusieurs cavaliers comme Constantin (Ndlr : Van Rijckevorsel) et Geoffroy (Ndlr : de Jamblinne) qui ont encore juste besoin d’un 4 étoiles court.

Comment se dérouleront les prochaines sélections ?

Je vais analyser les cavaliers et les chevaux, voir ce que nous pouvons attendre de chaque couple. Il y aura aussi une question de feeling et des critères à prendre en compte comme la santé du cheval, l’expérience du cavalier,… Dirk et moi ferons une proposition à la cellule « Sport Haut Niveau » de la Fédération qui tranchera. Le but sera toujours de se déplacer avec la meilleure équipe possible pour un terrain en particulier.

Que peut espérer la Belgique ces prochaines années ?

Il y a toujours des objectifs de médailles et de JO, c’est le sport, nous devons regarder vers le haut. C’est plus facile aujourd’hui car nous sommes très bas, l’une des seules nations européennes non qualifiées pour les Jeux de Tokyo. Ces deux prochaines années, nous devrons travailler avec les couples existants et durant cette période nous devons faire le maximum pour dynamiser la discipline et la rendre plus intéressante pour les éleveurs afin qu’il y ait toujours plus de chevaux dans notre sport.

De votre côté, cette prise de fonction comme team manager de la Belgique signifie-t-elle la fin de votre carrière sportive ? Ou du moins un pas de côté ?

J’ai déjà réalisé beaucoup de choses durant ma carrière. J’ai monté près de 60 chevaux et 550 concours sur le circuit international. Ce qui m’intéresse en compétition, c’est de faire mieux que ce que j’ai déjà réussi auparavant. Et je n’ai pas le cheval pour réaliser cet objectif. J’étais donc prêt à lever le pied. J’irai à Strzegom mi-avril et on verra pour la suite. J’ai déjà fortement réduit le nombre de mes chevaux mais j’ai encore quelques chouettes jeunes qui m’appartiennent. Et si besoin, Lara me prêtera une monture.

© Christophe Bortels
Membre de la génération dorée allemande

Originaire de Francfort, Kai-Steffen Meier a débuté l’équitation sur les chevaux de l’élevage familial et s’est orienté vers le concours complet une fois arrivé en junior. Le cavalier allemand a ensuite mis les moyens nécessaires pour parfaire sa formation : deux ans à Warendorf pour obtenir le diplôme de cavalier professionnel, un an comme cavalier à l’armée et enfin trois années d’expérience passées auprès d’Andreas Dibowski.

« J’ai aussi suivi une formation en sport et marketing réservée aux sportifs de haut niveau à l’université d’Oldenburg », précise Kai-Steffen qui faisait partie de la génération dorée du concours complet en Allemagne en compagnie d’un certain Michaël Jung. « En 2011, nous étions huit dans le Top 20 du championnat d’Europe de Luhmühlen », se souvient-il. « J’ai eu l’occasion de travailler avec des entraîneurs fantastiques mais aussi d’apprendre énormément au contact de l’entourage de l’équipe allemande. »

A son palmarès, le nouveau team manager belge affiche une dizaine de succès sur le circuit international, mais aussi trois participations à Badminton, deux championnats d’Europe disputés à Fontainebleau et Luhmühlen et une huitième place pour son premier concours 5 étoiles (ex-4 étoiles) à Luhmühlen en 2008.

Marié depuis 2014 à Lara de Liedekerke avec laquelle il a deux enfants, Chiara (6 ans) et Arthur (3 ans), Kai-Steffen n’a pas eu de difficultés à s’adapter à la vie en Belgique. « Mes parents habitent désormais près de Cologne, à 200km de la maison. Quand je suis dans le Nord de l’Allemagne, je suis finalement plus loin d’eux », sourit le citoyen d’Arville. « Aujourd’hui, quand j’atterris à Zaventem, je me sens déjà un peu à la maison. »

Pour conclure cette rencontre, nous avons proposé à Kai-Steffen Meier un match un peu particulier ! Alors, Allemagne ou Belgique ? Réponses ci-dessous :

Christian Simonart

Co-fondateur de Cheval-in, Christian est depuis toujours passionné par le cheval et son univers. Cavalier amateur depuis sa plus tendre enfance, fan de découvertes chevalines en tout genre et grand partisan de l'utilisation (respectueuse) du cheval dans nos villes comme dans nos campagnes, il est journaliste équestre depuis près de vingt ans.